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plus une retraite assez sûre. Il fallut chercher refuge à Stettin d’abord, puis à Cüstrin.

Frédéric-Guillaume venait d’y entrer dans le triste appareil d’un roi fugitif.

On était au 21 octobre. Donc, depuis que sur la route de Weimar ils s’étaient séparés, neuf jours à peine s’étaient écoulés, et tout n’était plus que ruine autour d’eux ; plus d’armée, la capitale abandonnée, la moitié du royaume envahi, les plus belles forteresses investies ou enlevées ; neuf jours avaient suffi pour que l’œuvre du grand Frédéric s’effondrât jusqu’à la base.

Le roi était anéanti. Là-bas, à Auerstædt, dans l’atmosphère stimulante de la bataille, il s’était comporté avec vaillance : à l’heure où la fortune l’abandonnait, il avait en vain cherché la mort. Par deux fois, il avait conduit à la charge le régiment des dragons de la reine, et chaque fois un cheval était tombé sous lui ; mais la défaite, — la course affolée au milieu des soldats jetant leurs armes, invectivant leurs officiers, l’insultant lui-même, — le contact, jour et nuit, de tout ce qu’il y a de misère et de lâcheté humaines dans une armée en déroute, —puis cette traversée furtive de sa capitale, — et la fuite reprise pour s’arrêter, Dieu savait où ! — c’était trop d’émotions pour un caractère aussi faible. Il voulait la paix à tout prix, implorait de Napoléon au moins un armistice, promettait de contremander l’arrivée imminente des Russes ses alliés, s’humiliait devant son vainqueur et offrait de se lier à lui « par une inaltérable intimité. »

Il était urgent pour l’honneur de la monarchie prussienne que la reine reprît place aux côtés de son époux. Quand tout le monde autour d’elle désespérait, quand les ministres aussi abattus que leur souverain ne parlaient que de traiter, quand des généraux comme le prince de Hohenlohe et Blücher capitulaient avec les derniers débris de l’armée, quand des garnisons entières mettaient bas les armes sans combat, quand Spandau, Hameln, Nieubourg, Plassenbourg, Stettin, Cüstrin, Magdebourg, toutes les places fortes saisies d’un même vertige, ouvraient leurs portes à la première sommation, quand tout ressort semblait brisé dans le cœur des hommes, la reine seule se dressait fière, inébranlable, et prêchait la résistance à outrance. On lui reprochait en vain d’être plus insensée encore qu’au mois de septembre quand elle avait fait déclarer la guerre, car ce qui était inopportun dans ce temps-là était devenu impossible aujourd’hui ; elle se révoltait contre l’évidence des faits au nom d’une vérité supérieure dont elle prétendait avoir en elle l’éclatante révélation.

Elle apportait à la défense de ses idées une telle opiniâtreté, une foi si ardente, et les personnages qui l’entouraient étaient si