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et sauvage, un Bacchus buveur et dansant suivi d’une troupe de bouffons ivres. Ses images expriment la diversité de ces attributs. Il a cinq laces, six bras, trois yeux, mille huit noms. Par là, son culte est accessible à tous. Le professeur hindou qui me guidait hier dans l’Université portait au Iront les trois raies horizontales des Sivaïstes. Probablement, il adore en Siva « le producteur et le destructeur, » c’est-à-dire l’activité éternelle de l’être qui, se développant suivant un rythme à deux temps, organise et dissout tous les êtres, peut être simplement un Dieu suprême, personnel et créateur. D’autre part, quand le fidèle à peau noire chasse les démons en couvrant sa cabane avec de la fiente que lui donne le taureau de Siva, quand il arrose la pierre phallique qui symbolise le dieu, quand il l’éveille au son de la cloche, quand il l’habille, quand il la couvre d’alimens, de crème, de cari, de riz, de gâteaux, quand il l’inonde de parfums, il ne pratique que le culte sauvage de la pierre et du taureau. Nul système de morale antérieur et supérieur à la religion ne vient diriger dans un sens unique la masse des croyances et des pratiques. Les débauches de certaines sectes et les macérations des fakirs sont deux formes du culte de Siva. Peu importe qu’elles semblent opposées, la série des textes sacrés s’étend sur une période de temps si longue, ils ont été composés à des momens si différens du développement social, ils forment une masse si énorme qu’ils autorisent toutes les morales et tous les dogmes, et la religion de chaque secte forme un système aussi vague, aussi inconséquent que l’ensemble de la religion hindoue.

Qu’est-ce que le vichnouisme, par exemple ? Au commencement, Vichnou est le « préservateur. » Entre Siva qui organise et Siva qui dissout, il y a place pour la puissance qui maintient. Cette plante qui a germé hors du sol rentrera dans le sol. Cependant, par l’effet d’une force intérieure, elle vit, elle persiste dans sa forme. Cette force qui soutient ainsi le monde entier est Vichnou, dont, justement, le symbole ordinaire est un arbre. En se faisant populaire, l’abstraction devient un être distinct, un Dieu personnel sans le secours duquel le monde s’effondrerait, par suite un Dieu charitable et bon qui en dix incarnations successives, sous la forme d’un poisson, d’une tortue, d’un sanglier, d’un lion, d’une nain, de Rama, de Krishna, de Bouddha, est descendu pour le salut du monde et de l’humanité. Ainsi multiplié et développé, Vichnou disparaît comme une tige que cache le luxe de sa propre végétation, et l’on ne voit plus de lui que ses incarnations. Deux d’entre elles, Rama et Krishna, sont populaires entre toutes, et le culte et les croyances de leurs fidèles vont changeant, se multipliant, se ramifiant à travers les âges. Les sectes engendrent les