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dans la Belle au bois dormant. Si l’on y ajoute l’influence de Scribe, aisément reconnaissable dans une petite comédie : Péril en la demeure, qu’on ne croirait jamais qui fût de l’auteur de Sibylle et de Monsieur de Camors, on aura dit, je pense, tout ce que Feuillet dut à ses prédécesseurs ; — et on peut commencer de l’étudier dans la partie vraiment originale et vraiment personnelle de son œuvre.

Sans parler, en effet, de ceux qui, comme ils le disent en leur style, n’ont voulu voir dans son œuvre entière qu’un « délayage de Musset et de George Sand, » a-t-on bien assez remarqué ce qu’il y a déjà de lui, qui n’appartient qu’à lui, dans quelques-unes de ces « imitations ? » et, pour quelques autres, la Crise, par exemple, ou l’Ermitage, ou la Clef d’or, ou le Village, l’Urne même et Dalila surtout, a-t-on bien assez loué ce qu’elles avaient alors de tout à fait neuf ? « Commérages, bavardages, menus propos, petites manières de toutes sortes de gens, » ni Musset dans ses proverbes, ni George Sand dans ses romans, ne les avaient ainsi rendus au naturel, avec cette aisance et cette vérité, avec cette justesse d’accent et ce bonheur d’imitation. George Sand et Musset étaient peut-être au-dessus, mais ils étaient en dehors, du ton, et les clercs de notaire parlaient chez eux comme des poètes, mais quelquefois aussi les marquis comme des confiseurs. Un autre mérite, à nos yeux, et mérite qu’on chercherait en vain dans les proverbes de Musset ou dans les comédies mêmes de Marivaux, — car que signifie le Jeu de l’Amour et du Hasard, et à quoi riment les Caprices de Marianne ? — chacune de ces petites pièces avait un sens ; elle tendait, sans en avoir l’air, à prouver quelque chose ; et, sans qu’on y prît garde, elle le prouvait. Enfin une même idée, l’unité d’une même intention, que nous retrouverons dans Sibylle et jusque dans la Morte, reliait entre elles ces « esquisses » ou ces « études » de la vie mondaine… Mais en insistant, je craindrais de donner à la Crise ou à l’Urne plus d’importance que l’auteur ne leur en attribuait lui-même. Je craindrais surtout d’imiter ses critiques, dont quelques-uns, en louant les Scènes et Proverbes, n’y ont cherché, en vérité, qu’un prétexte à déprécier ses romans.

Comme si, cependant, quelques qualités qu’on apprécie dans les Scènes et Proverbes, ce n’était pas les mêmes qu’on retrouve dans la Petite Comtesse, dans le Roman d’un jeune homme pauvre, dans l’Histoire de Sibylle ! Elles y sont seulement plus apparentes et plus fortes. C’est ainsi que le style, plus franc et plus direct, y est déjà presque entièrement dépouillé de ce qu’il avait encore d’affectation ou d’afféterie même, dans l’Ermitage, par exemple, ou dans la Partie de dames. La rapidité n’en a plus rien de romantique : peu de portraits, peu de descriptions, à peine quelques