Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/684

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sacrifier un seul de vos goûts, une seule de vos habitudes, une seule de vos soirées pour faire de cette enfant qui vous adorait une femme qui vous comprît… Et vous me reprochez ma nullité qui est votre ouvrage ! .. Et vous me reprochez, grand Dieu ! la folie, le vide, la dissipation de ma vie ! .. Mais qui donc, de nous deux, a déserté le premier ce foyer de famille ? ..


Il faut bien le reconnaître à ces preuves ; une préoccupation a passé, pour Feuillet, avant toutes les autres : c’est celle de la condition de la femme dans notre société moderne, celle du sort que lui fait le mariage, et celle des satisfactions que la coutume ou le préjugé lui refusent.

On l’a trop oublié, quand on a cherché uniquement dans le tour de son imagination romanesque l’explication ou le secret des sympathies féminines que ses romans éveilleront toujours. Car, en réalité, les femmes ne sont pas plus romanesques que nous ; ou du moins c’est nous, c’est notre égoïsme qui travaille à entretenir en elles, « au profit de nos passions et de nos plaisirs, » ce goût d’un certain romanesque dont nous nous plaignons ensuite. Au romancier qui, le premier parmi nous, l’a osé dire, et revendiquer pour elles le droit d’être traitées comme des personnes morales, est-il donc étonnant qu’elles aient d’abord accordé leur confiance ? Pour lui, s’il a flatté quelque chose en elles, c’est ce qu’elles avaient de meilleur. Même dans ceux de ses romans où il les maltraite, c’est leur cause, encore et toujours, qu’il plaide. Mieux que cela : les trahisons qu’il leur impute, — comme dans la Petite Comtesse, comme dans les Amours de Philippe, comme dans l’Histoire d’une Parisienne, — et jusqu’aux crimes qu’il leur fait commettre, — dans Monsieur de Camors, dans le Sphinx, dans la Morte, — à peine est-ce elles qu’il en rend responsables… En vérité, elles seraient bien ingrates si elles ne l’avaient pas aimé, mais plus ingrates encore si elles ne se faisaient pas un scrupule, un point d’honneur, et comme un devoir pieux de garder fidèlement sa mémoire !

Ce que cette conception du droit de la femme a en effet de généreux en même temps que d’original ou de personnel, on le voit sans que j’y insiste, et l’auteur même d’Indiana et de Valentine n’a pas plus éloquemment plaidé la cause de son sexe. Mais ce qui est curieux, ce qui nous appartient ici, c’est d’en suivre les conséquences ; et, rien qu’en les suivant, c’est de voir tant de figures charmantes ou tragiques venir l’une après l’autre, en enchantant notre imagination, nous prouver qu’une idée et le désir de la répandre n’ont jamais rien gâté dans un drame ou dans un roman. Il y faut seulement un art supérieur, des qualités plus rares, et un détachement de soi-même, une préoccupation de son sujet qui ne