Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/685

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fut pas la moindre des vertus littéraires de Feuillet. Le plus « romanesque » de nos romanciers n’est pas seulement l’un de ceux qui a créé le plus de figures vivantes et réelles, c’est l’un aussi de ceux qui a le mieux connu son temps, et dont les fictions auront enveloppé le plus de nobles et de hautes leçons.

Car, d’où vient et comment se fait-il que, dans une société qui se croit civilisée, la condition de la femme ne soit pas meilleure ? égale à celle de l’homme ? et que, dans l’amour masculin, il entre, si l’on y regarde bien, tant de mépris ou tant de dédain pour celles qui en sont l’objet ?


Chose étrange d’aimer ! et que, pour ces traîtresses,
Les hommes soient sujets à de telles faiblesses !
Tout le monde connaît leur imperfection :
Ce n’est qu’extravagance et qu’indiscrétion,
Leur esprit est méchant et leur âme fragile,
Il n’est rien de plus faible et de plus imbécile,
Rien de plus infidèle ; et, malgré tout cela,
Dans le monde on fait tout pour ces animaux-là !


L’esprit de ces vers grossiers, nous le retrouvons dans presque toute notre littérature ; et le pays du monde où l’on va contant que les femmes ont eu le plus de pouvoir, est celui où, de tout temps, les hommes les ont le moins respectées.

La faute en est d’abord au monde, qui ne prépare point les jeunes filles à leur métier de femmes, ni surtout au mariage, et là, — pour le dire en passant, — est la raison d’une certaine dureté que Feuillet, en aimant à les peindre, a toujours témoignée pour les jeunes filles et pour le monde.


Je ne pense pas que la précocité des jeunes filles, en ce temps-ci, doive être attribuée à l’insouciance morale des mères… Mais il n’y a que l’aveuglement des maris à l’égard de leurs femmes qui soit comparable à celui des mères à l’égard de leurs filles. Elles semblent croire que tout, dans la nature, est susceptible de corruption, excepté leurs filles. Leurs filles peuvent braver les plus dangereux contacts, les plus troublans spectacles, les entretiens les plus équivoques. Tout ce qui passe par les yeux, par les oreilles et par l’intelligence de leurs filles se purifie instantanément. Leurs filles sont des salamandres qui peuvent impunément traverser le feu, fût-ce le feu de l’enfer. Pénétrée de cette agréable conviction, une mère n’hésite pas à livrer sa fille à toutes les excitations dépravantes de ce qu’on appelle le mouvement parisien, lequel n’est autre chose, en réalité, que la mise en train des sept péchés capitaux.