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comment il en vit le reste ? et la mort même, qu’a-t-elle de si terrible, quand, après tant d’agitations, elle n’est plus que l’entrée dans l’éternel repos ! C’est aussi bien encore ici l’un des caractères des romans de Feuillet : on n’y craint pas la mort, et c’est ce qui fait la réelle noblesse de la plupart de ses personnages. Elle n’est pas pour eux, comme pour les personnages du roman contemporain, ce qui leur peut arriver de pire. Et il y en a quelques-uns pour lesquels, n’étant que le commencement d’autre chose, bien loin de rien avoir qui les puisse effrayer, ils ne se la donneraient pas, mais ils l’appellent, et quand elle approche, ils la trouvent douce.

Plus énergiques cependant, d’autres femmes ne se résignent pas si facilement : elles luttent ; elles se défendent, comme Mme de Rias, l’héroïne d’un Mariage dans le monde ; et, finalement, en dehors du mariage, elles cherchent ce que leur a refusé le mariage.


Après les premiers désenchantemens d’une union mal assortie, elles se remettent du choc et se recueillent ; elles reprennent leur rêve interrompu ; elles reforment leur idéal un moment ébranlé. Elles se disent, non sans raison, qu’il est impossible que le monde fasse autour de l’amour tant de bruit pour rien ; qu’il est impossible que cette grande passion qui remplit la fable et l’histoire, chantée par tous les poètes, glorifiée par tous les arts, éternel entretien des hommes et des dieux, ne soit en réalité qu’une vaine et déplaisante chimère ; elles ne peuvent imaginer que de tels hommages soient rendus à une divinité vulgaire, que de si magnifiques autels soient dressés de siècle en siècle à une plate idole. L’amour demeure donc malgré tout, et à travers tout, la principale curiosité de leur pensée, et la perpétuelle obsession de leur cœur. Elles savent qu’il est, que d’autres l’ont connu, et elles se résignent difficilement à vivre et à mourir elles-mêmes sans le connaître.

C’est assurément un danger pour une femme que de garder et de nourrir, après les déceptions communes du mariage, cet idéal d’un amour inconnu, mais il y a pour elle un danger plus grand encore, c’est de le perdre.


Sont-ce peut-être des phrases comme celle-ci qui, naguère encore, ont fait accuser Feuillet d’immoralité par nos naturalistes ? Mais ce qu’en tout cas ils ne sauraient lui refuser, c’est la hardiesse alors de quelques-unes de ses idées, — et surtout c’est la vérité de son observation.

Et d’autres femmes enfin se vengent, Mme de Talyas, dans les Amours de Philippe, Blanche de Chelles dans le Sphinx, Mme de