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nous être mis de quelque club, nous affectons, romanciers ou critiques, de nous ériger en arbitres des élégances. Mais, après tout cela, si nous trouvons dans les romans de Feuillet, dans Monsieur de Camors ou dans le Journal d’une femme, je ne sais quel air de distinction sans effort ; si nous y respirons une atmosphère plus aristocratique ; si nous avons enfin l’illusion d’y vivre en compagnie d’une humanité plus choisie que n’est celle du Marquis de Villemer ou du Cabinet des antiques, c’est un trait qu’il faut bien que l’on note ; — et c’est tout ce que l’on veut dire quand on dit du Journal d’une femme ou de Monsieur de Camors que ce sont des romans mondains.

La qualité sociale des personnages y est assurément, elle toute seule, de quelque chose. Dans un pays comme le nôtre, où l’esprit démocratique, en dépit qu’il en ait, n’a pas encore tout à fait triomphé de la superstition de la noblesse, aucun de nous, pour cette raison, n’est tout à fait insensible à l’honneur de frayer avec les marquises. Si le temps est passé peut-être où, comme le disait du bon de son cœur une madame de Chaulnes, pour s’excuser de convoler avec un avocat, « une duchesse n’avait toujours que vingt ans pour un bourgeois, » il est encore bien près de nous ; et, le dirai-je ici tout bas ? mais je crois avoir observé que plus on se moquait de ce genre de « snobisme, » comme nous l’appelons maintenant, et plus, au fond, on en était la dupe. C’est qu’une baronne peut bien être une coquine, et un vidame peut bien être une brute, mais la qualité nous procure toujours, au théâtre comme dans le roman, l’illusion de l’aristocratie, de même que l’étalage du luxe, encore qu’il puisse être du plus mauvais goût, ne nous donne pas moins la sensation de la richesse ; — et toutes les raisons du monde n’y peuvent et n’y pourront rien. À la condition donc de ne leur faire rien faire qui déroge à leur qualité, mais pour peu qu’on ait le talent de leur prêter un langage qui continue, qui complète, qui précise et qui remplisse l’idée que leurs titres nous ont donnée d’eux, il n’est pas douteux que nous sachions gré à Jeanne Bérengère de Latour-Mesnil ou au commandant du Pas-Devant de Frémeuse de se nommer de leur nom. Comment en serait-il autrement, si le nom, lui tout seul, parmi nos bourgeois, décide encore des mariages ; ou, dans un cercle plus étendu, si les railleries haineuses qu’il provoque témoignent du cas que l’on en fait toujours ?

N’est-ce pas aussi bien ce que Feuillet lui-même, dans Honneur d’artiste, son dernier roman, semble avoir voulu dire, quand il a mis sur les lèvres de la baronne de Montauron ce discours délicieux d’aristocratique impertinence ? Elle s’adresse au peintre Fabrice, qui vient lui demander la main de Mlle de Sardonne, sa lectrice, et