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quelques-uns des sujets qu’il aimait à traiter exigeaient peut-être qu’il le fût encore davantage. Il n’est jamais trop long, mais il ne l’est pas toujours assez, et avec Mérimée, c’est sans doute le seul écrivain de ce siècle à qui l’on puisse adresser une semblable critique. J’aurais donc voulu, plus d’une fois, qu’il s’engageât lui-même plus à fond dans ses propres intrigues, et je crois qu’il l’eût pu. J’aurais voulu surtout que tout ce que je viens de dire péniblement de la raison du choix de ses personnages, il m’en eût dispensé en le disant lui-même. Mais il suffira que l’on voie qu’en se limitant à la peinture du monde, il a eu ses raisons ; que ces raisons sont esthétiques ; et qu’à travers les siècles écoulés, elles rattachent ses romans à la lignée de la Princesse de Clèves, si l’on ne veut pas que ce soit plutôt encore à celle de la tragédie de Racine.

N’est-ce pas ce qui lui a permis, tout en demeurant jusqu’au bout le plus « mondain » des romanciers contemporains, d’en être souvent le plus hardi et le plus pathétique ? Je ne connais guère de situations plus « fortes » que celles de Monsieur de Camors, ou que celles de Julia de Trécœur, ou que celles de l’Histoire d’une Parisienne. Je ne connais guère non plus de dénoûmens plus cruels que les siens. Mettons à part le Roman d’un jeune homme pauvre, un Mariage dans le monde, et les Amours de Philippe : tous ses romans finissent mal, comme on dit vulgairement : par la mort, et plus souvent encore par le suicide. Est-ce qu’il avait donc l’imagination sombre et mélodramatique ? Non, pas plus encore qu’autrefois nos tragiques. Mais rien ne lui paraissait digne d’être étudié qui ne se terminât par quelque catastrophe irréparable, et il n’était pas l’homme des adultères confortables ou des passions bourgeoises. Pour que l’amour l’intéressât, il fallait qu’on y risquât sa personne tout entière, et il n’admettait pas qu’on se donnât pour se reprendre. On remarquera que c’est là le contraire même du romanesque, et, pour s’en convaincre, on comparera ses romans avec ceux de George Sand. La différence est justement celle de la tragédie à la comédie de la vie. Feuillet ne s’est guère intéressé qu’à la tragédie de la vie ; et le plus « romanesque » de nos romanciers se trouve être, à cet égard, celui dont l’œuvre enferme, non pas le plus de diversité, mais le plus de sens et le plus de moralité.

Ce dernier trait achève la ressemblance ; et tandis que de certains romans n’ont qu’une valeur purement anecdotique ou documentaire, et ne servent qu’à nous divertir, au contraire, les siens nous font penser. Habituellement et habilement cachée, la préoccupation morale s’y fait pourtant toujours sentir ; et, à