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En quoi consiste ce remède ? Le général Booth a inventé la religion réjouissante ou amusante, et il se flatte aussi que la gaîté qu’il se propose d’introduire dans la philanthropie aura un irrésistible effet sur les âmes. « Il n’y a dans l’Armée du salut, nous dit-il, aucune face longue de dévot. Nous parlons de salut parce que c’est la lumière et la joie de notre existence. Nous sommes heureux, et nous souhaitons que les autres partagent notre bonheur. »

Ses acolytes parlent comme lui et croient à l’action magique, surnaturelle de son élixir. « Dans quelque région du monde que ce soit, nous dit un de ses officiers, personne ne peut lier commerce avec nos soldats sans être immédiatement frappé de leur gaîté extraordinaire, et cette joie contagieuse est la principale raison de nos succès. Jugez des résultats qu’elle aura parmi les misérables confiés à nos soins. Pour tous ceux dont la vie n’a été qu’amertume et chagrin, la seule vue d’un visage épanoui est à la fois une révélation et une inspiration. »

Le général Booth est persuadé que cette gaîté contagieuse se communiquera à tous les grands pécheurs qui travailleront dans ses ateliers et leur tiendra lieu de tout, que ni l’ivrogne ne regrettera son cabaret ni le débauché ses joies impures. Il admet pourtant que de loin en loin il se trouvera quelque cas incurable, que des fainéans refuseront de travailler, que des escrocs succomberont à la tentation de voler, que des vicieux regretteront leurs vices. Ces récidivistes, ces relaps, il demande qu’on les regarde et qu’on les traite comme des démens, incapables de se gouverner, comme « des lunatiques criminels, » et il propose qu’on les enferme pour la vie, selon le bon plaisir de Sa Majesté la reine, afin de les mettre dans l’impossibilité de propager leur espèce. Mais il demande aussi qu’on leur procure toutes leurs aises, que leur prison soit un lieu agréable et charmant, « qu’ils aient chacun leur petite chaumière, entourée d’un petit jardin particulier, sous le ciel bleu, et s’il est possible, parmi les plus vertes campagnes. » Il convient que cette Arcadie d’ivrognes, de fainéans et de voleurs serait d’un entretien fort coûteux, mais l’État ne pourrait faire aucune dépense plus utile. Hélas ! pendant que ces vauriens endurcis contempleront le ciel bleu et arroseront leurs tulipes ou leurs roses, quelles tristes réflexions fera le pauvre John Jones, en regardant ses doigts noueux, ses mains calleuses, qui n’ont jamais demandé qu’à bien faire ? Ne prendra-t-il pas en dégoût sa laborieuse et honorable pauvreté ? Ne sera-t-il pas tenté de commettre quelque délit ou quelque crime pour avoir part à la félicité des lunatiques criminels ?

Si les rêveries de M. Booth ont mis la critique en défiance, il a indisposé, scandalisé nombre de ses lecteurs par ses omissions volontaires, qui ressemblent à des dénis de justice. Il n’a pas dit un mot de toutes les associations fondées sinon pour supprimer la misère, du