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chances d’une paix qu’on voudrait prolonger et les chances de guerre qu’on redoute, qui font qu’on ne cesse pas d’être sous les armes.

Y a-t-il quelque part un secret pour dénouer heureusement ce conflit, pour modifier au profit de la tranquillité du monde ces conditions d’aujourd’hui où les chances de la paix et de la guerre se balancent ? Si le secret existe, on conviendra qu’il n’est pas facile à découvrir et à dégager sous une forme précise. Les philanthropes, préoccupés avant tout d’humanité, ont imaginé les médiations, les arbitrages qui sont plus réalisables dans les petits différends lointains que dans les grandes querelles où s’agitent toutes ces questions redoutables de l’équilibre du monde, de l’indépendance, de l’intégrité ou de la dignité des peuples. Il y a aussi le désarmement, ce désarmement universel ou proportionnel qui reparaît de temps à autre dans les polémiques, dans les correspondances répandues à travers l’Europe et dont on parlait de nouveau ces jours derniers à propos de quelques paroles que l’empereur Guillaume aurait, dit-on, prononcées dans une conversation. L’empereur Guillaume a-t-il même dit ce qu’on lui a fait dire ? Quelles que soient les hardiesses de son esprit, le souverain qui dispose de deux ou trois millions de soldats et qui a l’orgueil de son armée, la superstition militaire, a-t-il eu sérieusement la pensée d’amoindrir pour son compte l’instrument qu’il a entre les mains, auquel il doit l’empire ? C’est au moins fort douteux ou ce n’est tout au plus qu’un mot en l’air.

Assurément, rien n’est plus facile que de parler du désarmement dans une conversation. Rien n’est plus juste que de montrer ce qu’il y a d’excessif et de désastreux dans une situation où tous les pays épuisent leurs forces et leurs finances, où des millions d’hommes transformés en soldats sont détournés du travail, où les milliards sont prodigués en armemens, en fortifications, en préparations militaires. Seulement, on ne voit pas que, si cette situation est aussi extraordinaire que ruineuse, elle est la suite d’une série d’événemens plus extraordinaires encore qui ont bouleversé toutes les conditions de l’Europe et confondu toutes les idées de droit, qui ont fait de la force l’unique arbitre du monde et imposé à tous les états la dure obligation de se créer un maximum de puissance militaire. On ne voit pas que réduire les armemens, ce ne serait pas supprimer les causes qui les ont rendus nécessaires et que la paix n’en serait pas mieux garantie. D’ailleurs le voulût-on, eût-on réussi à réaliser ce miracle de s’entendre pour désarmer, comment s’y prendrait-on ? Que ferait-on pour qu’il y eût un résultat sérieux ? C’est un fait bien connu que la diminution du nombre des soldats n’est qu’un insignifiant palliatif, une apparence. Ce sont les cadres qu’on devrait réduire. Ce qu’il faudrait changer, c’est le principe des nouvelles institutions militaires qui font d’une nation une armée. Tant qu’on ne touche pas au principe des institutions nouvelles, aux cadres