Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/811

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par le vieux livre, lu le soir, à haute voix, en famille, et non par les débris vivans des douze tribus. A l’époque de leur révolution, il n’y avait de juifs ni en Angleterre, ni en Amérique, si bien que l’on pourrait dire que les pays les plus soumis à l’ascendant des Hébreux sont ceux où le juif a eu le moins d’action. C’est bien dans la Bible, semble-t-il, que Jurieu et les pasteurs protestans, en cela les maîtres de Rousseau, ont découvert le principe de la souveraineté du peuple ; mais, pour le trouver, ils n’ont pas eu besoin d’aller chercher dans la Judengasse. C’est à la Bible, c’est au Pentateuque et aux Juges que, s’il en faut croire un Américain, lui-même israélite[1], les fondateurs de l’Union américaine ont emprunté le modèle de leur constitution populaire et fédérale ; mais, pour cela, les Adams et les Madison n’ont pas eu à prendre leçon des juiveries de l’Europe ou de l’Afrique.

Nous faisons souvent honneur aux peuples protestans et à la Réforme de ce que, en bonne justice, il serait plus équitable d’attribuer à la Bible et aux Hébreux, — je ne saurais dire aux juifs. A l’Orient comme à l’Occident de l’Atlantique, le juif moderne, le petit juif du ghetto n’a guère rien à revendiquer dans la genèse des idées qui ont changé la face du monde. Loin d’y avoir donné l’impulsion, le judaïsme en a subi le contre-coup. Ici, comme en beaucoup de choses, le juif a moins été initiateur qu’imitateur. Pour s’ouvrir aux idées nouvelles, il lui a fallu se dépouiller de ses anciennes notions judaïques. Il était si bien lié et garrotté par le Talmud et les observances rituelles, que, si nous n’avions tranché ses liens, ou si nous ne lui avions prêté des ciseaux et des limes pour les couper, il n’aurait peut-être jamais eu la force de les briser. J’incline à croire, quant à moi, que, livré à lui-même et moralement isolé du chrétien, le juif talmudiste eût eu autant de peine à se dégager de ses traditions judaïques et à s’émanciper du joug des Talmuds que le musulman à s’affranchir des chaînes du Coran. Chez Israël aussi, la loi civile faisait corps avec la loi religieuse et, comme dans l’Islam, le Coran, chez lui, le Talmud était le code de l’une et de l’autre. Si mobile, si flexible, si prompt à tout comprendre et à tout s’assimiler, si curieux de tous les progrès et de toutes les innovations que se montre à nous, en Occident, le juif civilisé, il me semble que, confiné dans les juiveries de ses pères, enveloppé d’une atmosphère purement juive, il fût demeuré stationnaire. Il y était, pour ainsi dire, condamné par le

  1. M. Oscar S. Strauss, ministre des États-Unis en Turquie : les Origines de la forme républicaine du gouvernement dans les États-Unis d’Amérique, ouvrage traduit en français avec préface de M. E. de Laveleye. Paris, 1890 ; Alcan.