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les grilles, les voiles, les lois, les mœurs, les préjugés n’ont pu, ni dans la Rome républicaine ou impériale, ni dans la Grèce de Périclès et des successeurs d’Alexandre, ni dans la Moscou des tsars, ni dans quelque pays d’Orient que ce puisse être, retirer toute action à la femme. Cette action y a été plus indirecte ou plus dissimulée qu’en Occident, mais à peine moins énergique. La Grèce alexandrine a eu Roxane. Rome a eu les Julie et les Agrippine, et Victoria, « la mère des légions, la mère des camps, » qui lui donna trois empereurs, et Hélène, qui assura le triomphe du christianisme dans l’empire. L’Asie a connu les Nitocris, les Sémiramis, les Parysatis. L’Egypte a été gouvernée par Hatasou, fille et sœur des Thoutmès, et par Cléopâtre. La Syrie a obéi à Zénobie, l’Inde à des begums ; la Turquie a subi les caprices des Roxelane et des sultanes validés. A Moscou, la tsarévna Sophie, dissimulée derrière le double trône de ses deux frères, a dirigé la diplomatie et les armes russes, frayant ainsi la voie aux impératrices du XVIIIe siècle.

A Byzance il en fut de même. Cela commence par Pulchérie, la fille aînée d’Arcadius. A quatorze ans, comme son père venait de mourir et que son frère n’était qu’un petit enfant, le préfet Anthémius la salue Augusta et lui remet le pouvoir. Pour se consacrer plus entièrement aux soins du gouvernement, elle fait vœu de virginité et engage ses sœurs à l’imiter. Elle administre au nom de son frère Théodose II, veille à son éducation, travaille à en faire un prince pieux et appliqué, mais sans réussir à vaincre sa paresse et sa frivolité. Elle le marie à Athénaïs, fille du philosophe athénien Léontios.

Celle-ci est une lettrée, une dilettante de dévotion, qui traduit en vers une partie de l’Ancien-Testament, fait des pèlerinages aux lieux saints et en rapporte de précieuses reliques, entre autres le portrait « authentique » de la Vierge par saint Luc. Naturellement, les deux belles-sœurs ne peuvent s’accorder, et Pulchérie, cédant à la passion de son frère pour sa femme, se retire de la cour. L’impératrice ne jouit pas longtemps de son triomphe : elle avait un faible pour Paulin, le maître des offices. Un jour, un pèlerin venu d’Asie offre à Théodose une pomme d’une grosseur et d’une beauté extraordinaires. Le galant empereur en fait présent à sa femme ; la tendre impératrice l’envoie aussitôt chez Paulin ; celui-ci, voulant faire sa cour au prince, lui apporte le cadeau. Théodose, fort surpris, demande à sa femme ce qu’elle a fait de la pomme. « Je l’ai mangée, » répond-elle sans hésiter. Théodose insiste ; elle jure sur la tête de l’empereur qu’elle a dit la vérité. Paulin, quoiqu’il pût être innocent, fut exilé, puis cruellement supplicié. L’impératrice obtint la permission de se retirer à Jérusalem. Elle