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pouvoirs exceptionnels et repassa en Asie pour se mettre à la tête de son armée victorieuse. Ses lieutenans, surtout son compatriote Jean Zimiscès, l’engagèrent à mettre fin au gouvernement de Bringas et à s’emparer de l’empire. Ses soldats lui chaussèrent de force les brodequins de pourpre, lui passèrent au cou le collier de commandement, le hissèrent sur un pavois et crièrent : « Longue vie à Nicéphore Auguste ! » Un autre cri suivit celui-là : « Eis tèn Polin ! (A la Ville ! ) » En peu de jours, l’armée d’Asie eut franchi le Bosphore, tandis qu’une insurrection contre Bringas éclatait à Byzance. Le nouvel empereur, en grand appareil militaire, entra par la Porte d’Or et se rendit à Sainte-Sophie, parmi les acclamations du peuple et des soldats. Là, le patriarche Polyeucte procéda, suivant les rites, au couronnement. Remarquons que Nicéphore n’usurpait point l’empire, car il s’était engagé par serment à respecter les droits des porphyrogénètes Constantin et Basile : il leur était simplement associé dans l’exercice du pouvoir impérial et devenait en outre leur tuteur. Les jeunes princes, avec leur mère, présidèrent, assis sur trois trônes d’or, à la cérémonie du sacre.

Au physique, M. Schlumberger, d’après les chroniqueurs, fait de Nicéphore le portrait suivant : « environ cinquante ans ; un teint olivâtre, hâlé par le soleil d’Asie ; des cheveux noirs, abondans et longs ; un regard pensif et triste, brillant d’un feu sombre sous d’épais sourcils ; le nez moyen et fortement busqué à son extrémité ; la barbe rare et courte, légèrement grisonnante ; de petite taille, gros, presque replet ; la poitrine et les épaules très larges. »

C’était ce quinquagénaire robuste et bien conservé que la gracieuse impératrice avait accepté pour époux et pour maître. Trente-quatre jours après la révolution, le mariage fut célébré suivant les rites accoutumés. La cérémonie fut un moment troublée par les scrupules du patriarche, qui imposa aux nouveaux époux la pénitence dont l’Église frappait les secondes noces, et qui ensuite prétendit les obliger à se séparer, parce que Nicéphore avait tenu sur les fonts baptismaux les enfans de Théophano. Dans les idées du clergé grec, cela constituait un lien de parenté mystique ; l’union entre la mère et le parrain devenait un inceste. Heureusement il se trouva un prêtre pour affirmer par serment que le fait était faux, et le patriarche consentit à l’en croire.

M. Schlumberger a essayé, non sans quelque indiscrétion, de dépeindre la passion dont le nouvel empereur était épris pour sa souveraine d’hier :

Dès qu’il en avait fini avec les supplices renaissans de l’étiquette, il accourait au discret gynécée rejoindre sa belle et tant aimée Théophano. La créature superbe et câline savait chaque jour lui inspirer un