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considérations politiques ? Quoi qu’il en soit, un complot se forma contre Nicéphore ; il eut pour chef celui qui avait le plus contribué à le faire empereur, son compagnon d’armes et son émule de gloire, Jean Zimiscès ; l’impératrice connut la conspiration, l’encouragea et promit à Zimiscès d’être sa femme s’il la débarrassait de son mari. Elle était liée avec lui par une intrigue galante, comme elle l’avait peut-être été avec Nicéphore du vivant de Romain II. « Zimiscès, nous dit M. Schlumberger, pour s’unir à l’impératrice dans de criminels rendez-vous, avait à traverser chaque soir le Bosphore dans une barque et se perdre ensuite dans le dédale des bâtimens palatins, se confier à la discrétion d’eunuques et d’esclaves, courir le risque, dans le cas où l’intrigue serait découverte, de supplices atroces et d’une mort ignominieuse. » L’éternelle tragédie de Clytemnestre armant contre Agamemnon la main d’Égisthe se renouvela une fois de plus. Par une nuit de décembre, l’impératrice fit entrer les conjurés dans l’enceinte du palais et les cacha dans les appartemens secrets. Elle-même se rendit auprès de Nicéphore pour l’occuper et endormir ses soupçons, lui persuada de laisser ouverte la porte de son cubiculum ; elle l’épia quand il succomba au sommeil et donna le signal aux assassins. Sur le cadavre mutilé du vaillant empereur, Zimiscès chaussa les brodequins de pourpre, et les conjurés se répandirent dans le palais en criant : « Longue vie à Jean Autocratôr ! »

Théophano fut trompée dans ses calculs amoureux ou ambitieux. Zimiscès, une fois empereur, réfléchit. Il se dit apparemment qu’elle n’était plus jeune, qu’elle était mère de quatre enfans et veuve de deux maris ; qu’elle n’avait pas de naissance et ne lui apporterait aucun droit ; que ce n’était pas la peine d’affronter le courroux du patriarche Polyeucte, qui allait tonner contre les troisièmes noces ; que, s’il fallait une expiation du régicide, il valait mieux qu’elle tombât sur Théophano que sur lui. Il refusa comme épouse celle qu’il avait convoitée comme maîtresse ; et, délaissant la fille de Gratéros, il épousa Théodora, une vraie princesse, une Porphyrogénète, une fille de Constantin VII, jadis expulsée du palais par la jalousie de Théophano. Le patriarche Polyeucte exigea, pour couronner Zimiscès, que celle-ci fût éloignée du palais et les autres complices exilés : le nouvel empereur souscrivit à ces conditions. L’impératrice déchue fut reléguée dans l’île Protée. Elle s’en échappa quelque temps après et vint accabler l’ingrat de reproches et d’injures, qui lui valurent seulement une captivité plus étroite.

Sous Zimiscès, sous le belliqueux porphyrogénète Basile II, l’empire retentit du fracas des victoires ; les camps ont la prépondérance sur le palais, et les femmes ne font plus parler d’elles. Après