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femmes ! Plus souvent encore elles ont eu la couronne en dépôt et l’ont donnée avec leur main. La cause de ce phénomène est la même qui a donné quatre impératrices à la Russie du XVIIIe siècle. Ici et là, c’est parce que l’empire manquait d’institutions stables et que la loi européenne de succession, l’hérédité de mâle en mâle et par ordre de primogéniture, n’y était pas explicitement reconnue. Les intrigues de harem ou les mariages de princesses furent donc un des moyens de transmission du pouvoir, au même titre et aussi souvent que l’entente de l’aristocratie et du clergé, les usurpations militaires ou les révolutions de la rue.


II

Ce que nous avons vu jusqu’à présent, ce sont des femmes faisant des empereurs ou les défaisant : il reste à montrer comment un empereur pouvait faire une impératrice. Ici encore, c’est l’arbitraire qui domine. Malgré la rigueur apparente des lois, des mœurs, du cérémonial, le caprice du prince était souverain. Il ne se croyait pas obligé, comme en Occident, à faire choix d’une épouse seulement dans les familles d’une noblesse égale à la sienne, dans les dynasties princières ou royales, à blason compliqué et à généalogie remontant au déluge. Les empereurs de Byzance ne craignaient pas, comme nos rois de France, de se « mésallier. » Toute femme pouvait devenir impératrice, comme tout homme pouvait aspirer au pouvoir suprême. A Constantinople, on peut voir ce qui ne s’est vu chez nous que dans les contes de fées : des rois épousant des bergères. Ils ont même choisi beaucoup plus bas.

Le futur empereur Justin, n’étant encore que simple officier, avait pour femme Lupicina[1], une paysanne du Danube, une barbare comme lui ; devenu « le maître du monde, » il ne voulut point la renier, et sur la tête de la commère qui depuis si longtemps faisait bouillir sa marmite de soldat, il posa la couronne impériale. On sait dans quel monde son neveu, le grand Justinien, est allé chercher Théodora. Théodose II a épousé la fille d’un professeur de philosophie d’Athènes ; une autre Athénienne est devenue la bru de l’empereur Nicéphore Ier. Justinien II et Constantin Copronyme ont fait impératrices des Khazares, Monomaque une Alaine. Deux fois au moins, avec Rothrude et Rerthe, il a été ques-tipn de fiancées d’Occident. Toutes les provinces de l’Europe, Atti-que ou Paphlagonie, Arménie ou Phrygie, ont fourni leur contingent de Basilissœ. Si les empereurs se sont abaissés parfois à des

  1. Encore un nom slave : Lioupkina ou Lioubkina ; même racine que lioubor, amour.