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de beauté, avaient pour elles des précédens respectables et les exemples de l’antiquité biblique, alors en grand honneur à Byzance. N’est-ce pas ainsi qu’Assuérus avait choisi Esther a entre mille beautés ? » Louis le Débonnaire, contemporain du Basileus Théophile, aurait, au dire de l’Astronome, procédé de même pour son second mariage : undecumque adductus procerum filias… Les tsars de Moscou, qui s’inspiraient aussi de la Bible et en tout imitaient Byzance, n’eurent garde de négliger une coutume si bien en harmonie avec les traditions du despotisme oriental. On a conservé le texte des circulaires qu’ils adressaient à tous leurs gouverneurs, leur enjoignant de faire un choix parmi les plus belles filles de leur province et de les envoyer à Moscou, menaçant des plus terribles châtimens les nobles qui cacheraient leurs filles et ne les remettraient pas à leurs messagers. Sur cette élite rassemblée de tous les points de l’empire au vieux Kremlin, on faisait un nouveau choix, puis un autre encore, jusqu’à ce que le prince n’eût plus en présence qu’une douzaine de beautés entre lesquelles il était permis d’hésiter. Avant la décision dernière, des sages-femmes étaient appelées à donner leur avis motivé. Ivan le Terrible, lors de ses troisièmes noces, n’avait pas convoqué moins de deux mille jeunes filles. Il est à remarquer que le premier prince russe qui inaugura cette coutume fut Vassili Ivanovitch, père du Terrible et fils de cette Sophie Paléologue qui importa en Moscovie les usages byzantins, avec l’aigle à deux têtes des Basileis et les prétentions à l’empire de Constantin. Les analogies entre les deux civilisations sont si frappantes qu’au harem de Moscou comme au Palais-Sacré de Byzance, l’aristocratie déplorait que la fantaisie matrimoniale des princes descendît parlois si bas. Les chambellans du premier Romanof disaient de sa femme : « Nous n’avons pas une souveraine bien chère ; elle portait autrefois des bottes jaunes comme les paysannes ; maintenant, Dieu l’a élevée. » Des deux femmes du tsar Alexis, l’une était fille d’un simple domestique et avait fait la cueillette des champignons dans les bois pour aller les vendre au marché ; l’autre avait été reçue presque par charité chez le boïar Matvéef, et on l’avait vue marcher en laptis, c’est-à-dire en sandales d’écorce tressée.

Souvent la fiancée royale, comme si une situation tellement nouvelle lui donnait une nouvelle vie, changeait de nom. Athénaïs, fille du philosophe athénien Héraclite, devint Aelia Eudoxia, en épousant Théodose II. Lupicina, la femme de soldat, quand Justin Ier fut parvenu à l’empire, reçut des factions du cirque le nom auguste d’Euphémia. Les princesses khazares mariées à Justinien Rhinotmète et à Constantin Copronyme s’appelèrent Théodora et Irène. Anastaso, l’héroïne du récit de M. Schlumberger, mariée