Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/869

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

représentations de l’Angleterre et de la France, par l’accord qu’elles négociaient entre elles et avec la cour de Vienne pour lui arracher, en Pologne, des concessions qui blessaient son orgueil, la Russie, disons-nous, n’intervint dans l’affaire des duchés que pour faciliter l’œuvre entreprise par M. de Bismarck, et par son souverain.

A la vérité, M. de Bismarck recueillait le fruit de la merveilleuse habileté qu’il avait déployée durant sa mission à Saint-Pétersbourg et de la prévoyante résolution avec laquelle il avait marqué l’attitude de la Prusse devant l’insurrection polonaise. Sous le règne de l’empereur Micolas, et avec le comte de Nesselrode, son fidèle chancelier, le gouvernement du roi de Prusse eût-il été si bien secondé ? En 1832, la Russie avait dompté sur les bords de la Vistule, sans l’assistance de son voisin, une révolte autrement redoutable que celle de 1863, et nous avons vu avec quelle hauteur ce souverain, décidé à maîtriser les convoitises de l’Allemagne, à sauvegarder les intérêts de son empire dans la Baltique, mit les Prussiens en demeure d’évacuer les duchés, dont ils s’étaient emparés pendant que ses armées sauvaient la monarchie de Habsbourg dans les plaines de la Hongrie.

Mais l’Autriche, pensera-t-on, comment a-t-elle subi la pression de Berlin ? Sa docilité s’explique et se comprend aisément. L’homme d’état autrichien qui avait imposé à la Prusse l’acte de contrition que son premier ministre était allé faire à Olmütz, le prince de Schwarzenberg, était mort. Il avait eu plusieurs successeurs ; il n’avait pas été remplacé. Lui seul aurait pu se mesurer avec le junker de la Marche de Brandebourg, et c’eût été un spectacle attachant de voir ces deux vaillans lutteurs, également énergiques, également audacieux, brûlant du même patriotisme, se disputer l’hégémonie en Allemagne. Mais, depuis que le restaurateur de la monarchie autrichienne avait disparu, l’empereur François-Joseph avait perdu la Lombardie, et il n’était pas sans inquiétude pour la Vénétie revendiquée par les Italiens. Dans ces conditions, l’hostilité de la Russie lui faisait un devoir de ménager les sympathies de ses confédérés, ses alliés dans un nouveau conflit. Or l’Allemagne entière, princes et peuples, avait épousé passionnément la cause des duchés. L’Autriche ne pouvait donc la déserter. Il lui fallut suivre la Prusse dans la campagne entreprise contre le Danemark. Elle s’imaginait, au surplus, que sa participation lui permettrait de contrôler, d’entraver les vues de la cour de Berlin. Elle se trompait. Elle dut suivre la Prusse jusqu’au démembrement du Danemark. Déclarant sans valeur les titres des prétendans, dont elles avaient pourtant pris la défense, sans s’arrêter