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Europe. Il avait donné toute sa confiance à son collègue de Berlin ; il préféra la lui continuer et conquérir des droits éclatans à sa gratitude. De tout ceci, et pour rester dans les limites de notre étude, nous n’entendons encore déduire qu’une conclusion, c’est que, sans l’appui moral et diplomatique de la Russie, la Prusse, sous le règne d’un prince dont la prudence maîtrisait l’ambition, n’eût osé entreprendre trois guerres avec la confiance de triompher de ses ennemis ; qu’elle lui est redevable, par conséquent, de tous ses succès. Le roi Guillaume l’a reconnu lui-même. Les préliminaires de paix ont été signés à Versailles le 27 février 1871, et le même jour il en faisait part à l’empereur Alexandre dans une lettre qu’il terminait ainsi : «… La Prusse n’oubliera jamais qu’elle vous doit d’avoir empêché la guerre de prendre des proportions plus grandes. Que Dieu vous en tienne compte et vous bénisse.

Pour toujours votre reconnaissant

GUILLAUME. »


Nous verrons si la Prusse, Guillaume régnant, a gardé la mémoire des services reçus.


IV

Ici s’arrête la longue période de l’union qui a lié la cour de Saint-Pétersbourg à celle de Berlin. La Prusse avait vaincu la France ; elle lui avait ravi deux provinces et cinq milliards ; elle croyait avoir tari ses ressources pour longtemps et rendu son relèvement difficile et lointain. Elle tenait, d’autre part, l’Allemagne entière dans sa main, l’Allemagne désormais affranchie de la domination que les tsars y avaient exercée. Elle se sentait en mesure de contenir au besoin la Russie. Ce double résultat suffisait au patriotisme de M. de Bismarck et de son souverain, à la solidité de l’œuvre commune. Comme son maître, le chancelier n’entendait pas le compromettre en secondant les projets du cabinet russe, qu’il avait lui-même constamment encouragés, soit pendant son ambassade à Saint-Pétersbourg, soit lors de la mission du général de Manteuffel. Il avait exprimé à sa guise sa pensée tout entière en rentrant en Allemagne. « Les préliminaires signés à Versailles, avait-il dit, nous garantissent cinquante années de tranquillité. » C’était déclarer que, la Prusse étant triomphante et satisfaite, la paix du monde ne devait plus être troublée, que le concours de