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remaniées dans leur ensemble et on en arrêta de nouvelles qui renversaient la situation garantie au cabinet de Saint-Pétersbourg par les arrangemens conclus directement avec la Porte. Au contrôle qu’il s’était réservé sur l’exécution des mesures prises en faveur des chrétiens, on substitua notamment celui de l’Europe. On constitua des commissions qui en ont assumé les devoirs en dépossédant la Russie du rôle de puissance protectrice qu’elle croyait avoir reconquis par la victoire. Pour mieux atteindre ce résultat, on exigea l’évacuation, à courte échéance, des provinces turques occupées par les armées du tsar. Mais la clause capitale et inattendue, que rien n’autorisait ni ne faisait prévoir, celle qu’il importe de relever parce qu’elle a donné naissance à des difficultés qui troubleront sensiblement, pendant longtemps, l’état politique de l’Europe, ce fut la clause libellée en deux lignes et ainsi conçue : « Les provinces de Bosnie et d’Herzégovine seront occupées et administrées par l’Autriche-Hongrie. » (Art. 25.) La forme de cette disposition n’était qu’un astucieux euphémisme. En réalité, le sultan était dépouillé, par ses amis, de ces provinces, qui avaient cependant pris les armes pour revendiquer leur autonomie et nullement pour changer de maître. L’Autriche-Hongrie, au contraire, sans avoir tiré l’épée, sans qu’il lui en eût coûté le moindre sacrifice, était mise en possession de territoires destinés à donner un nouveau relief à son influence en Orient. Conçue par M. de Bismarck, toujours fertile en expédiens imprévus et ingénieux, cette combinaison fut proposée, à l’assemblée, par l’un des plénipotentiaires de la Grande-Bretagne, lord Salisbury.

Rien ne pouvait démontrer plus clairement l’entente concertée entre le cabinet de Berlin et celui de Londres. Toute illusion était désormais interdite aux négociateurs de l’empereur Alexandre. C’est en effet, et uniquement, dans la pensée d’atteindre les intérêts de tout ordre de la Russie, que les prétendus protecteurs de la Turquie imaginèrent de lui infliger cette mutilation pour en doter l’empire d’Autriche, le véritable compétiteur de l’empire russe dans la péninsule des Balkans. Cette mesure promettait à l’Angleterre un concours plus puissant et plus efficace contre toute nouvelle tentative de la cour de Saint-Pétersbourg en Orient. Elle garantissait à l’Allemagne le libre parcours du Danube, sa voie la plus directe pour son trafic avec la Mer-Noire et l’Asie. Mais M. de Bismarck avait, en outre, d’autres vues : il voulait obliger le vaincu de Sadowa, lui faire oublier ses désastres en les réparant en partie et le contraindre à s’allier étroitement à l’Allemagne. Il opérait son mouvement qui portait de Saint-Pétersbourg à Vienne la base et le point d’appui de sa politique. La stipulation dont il avait été