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protégea la frontière du Rhin… Par le traité de San-Stefano, la Russie se flatta de récolter les avantages qu’une guerre heureuse et sanglante lui donnait le droit de revendiquer : le traité de Berlin en annula, presque en entier, les dispositions… Si, au congrès, Gortchakof a demandé peu, s’il s’est résigné à voir l’Autriche-Hongrie, l’adversaire de la Russie, prendre la position prééminente dans la péninsule balkanique, c’est qu’il s’y trouva aux prises avec une coalition et que le seul ami puissant sur lequel il croyait pouvoir compter se déroba… Elle (la Russie) est pacifique, mais elle commande le respect… Elle sait qu’à l’heure du danger elle pourra se fier à une puissance amie dont l’alliance n’a nul besoin d’être ratifiée par une convention écrite… La Russie, d’autre part, ne jouera plus désormais le rôle de 1870 ; elle n’assistera pas, les bras croisés, au démembrement de la France… » Voilà ce que l’on pense, voilà ce que l’on écrit aujourd’hui en Allemagne. Nous n’avons pas dit autre chose. Cette publication, qui a eu un grand retentissement dans l’opinion et dans la presse, a-t-elle été inspirée ? Rien ne le prouve ; mais la circulation n’en a pas été interdite, et la plupart des journaux en ont donné de longs extraits. Il se dégage de cette double circonstance un symptôme qu’il est certainement permis de noter en passant.

Ces mêmes vérités que l’on prodigue maintenant, sur les bords de la Sprée, au restaurateur de l’empire germanique, retiré dans ses domaines, la presse russe, interprète du sentiment national, les lui avait fait entendre pendant les dernières années de sa domination. Il en faisait contester l’exactitude par la puissante publicité qui était à sa solde. Il a saisi toutes les occasions pour les démentir ou les redresser lui-même, pour établir qu’en toute occasion il s’était montré le meilleur ami de la Russie, notamment au congrès de Berlin. Il a tout affirmé ; il n’a rien démontré. Les faits acquis ne le comportaient pas. A l’exception du Monténégro, en effet, resté fidèle, malgré tout, aux tsars, ses bienfaiteurs, les provinces que partage le Danube, — dont deux ont été érigées en royaumes indépendans, avec des augmentations de territoires, pendant que la troisième était constituée en principauté autonome, — ces provinces, pouvons-nous dire, qui doivent tout, de longue date, au sang des armées russes versé à flots pour les tirer du servage, étaient déjà, par un effet inéluctable des résolutions prises au congrès de Berlin, l’une, la Serbie, sous le joug de l’Autriche ; l’autre, la Roumanie, manifestement réfractaire à toute intimité avec le cabinet de Saint-Pétersbourg : quant à la troisième, la Bulgarie, qui a été comblée de bienfaits de toute sorte, elle emploie, ou plutôt ses gouvernans ne cessent d’employer tous leurs efforts à les méconnaître. De telle