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exerçait dans les Balkans. Les deux empires du centre de l’Europe, les deux complices, pourrions-nous dire, avaient un intérêt commun à maintenir cet état de choses, et on conçoit qu’ils se soient unis pour mettre à l’abri de toute atteinte l’équilibre nouveau qu’ils ont fondé au détriment de la France en Occident, au détriment de la Russie en Orient. L’Italie était-elle, de son côté, tenue d’aviser ? avait-elle des acquisitions nouvelles à préserver, des périls à prévoir et à conjurer ? Dans les explications qu’il a données, le gouvernement italien a toujours été d’une sobriété et d’un laconisme qui n’ont jamais permis d’élucider clairement ni la cause, ni le but de sa détermination. Interpellé, voici ce qu’en a dit M. Crispi : « La politique que nous entendons poursuivre est une politique de paix et non de guerre ; elle ne peut être combattue que par ceux qui estimeraient que l’Italie serait mieux si elle était isolée… Ce n’est pas le traité d’alliance qui nous incite aux arméniens… Ils ont, pour seul objet, la défense de nos droits et de nos frontières. » (Séance du 15 mai 1890.)

Au dire de son premier ministre, l’Italie se serait donc alliée à l’Allemagne et à l’Autriche, non dans l’intérêt de sa grandeur, mais pour garantir l’intégrité de son territoire, et, pour ne laisser aucun doute sur l’ennemi redoutable, il a rappelé incidemment le traité de Campo-Formio qui livra la république de Venise au vaincu de Rivoli et de Montenotte. Comment, la France sortant de l’année terrible, ne pouvant avoir d’autre souci que de consacrer tous ses efforts et toutes ses ressources à réparer ses désastres, la France aurait eu, en présence de l’ennemi de la veille, victorieux et puissamment armé, la pensée de s’en prendre à l’Italie ? Et pourquoi donc aurait-elle conçu ce dessein à la fois chimérique et coupable ? Est-ce pour réparer ses pertes sur le Rhin ? Mais, en 1882, quand l’Italie a engagé sa signature, notre armée était en pleine formation, ses cadres n’étaient pas plus complets que son armement. Aurions-nous pu, d’ailleurs, franchir les Alpes sans l’assentiment de l’Allemagne et nous l’aurait-elle donné ? Nous serions-nous concertés avec le saint-siège pour démembrer le royaume que nous avions contribué à fonder, et aurions-nous voulu, voulons-nous encore, comme on ne cesse de l’affirmer, rétablir le pouvoir temporel du pape ? N’est-ce pas en Allemagne qu’on rencontre un parti catholique fortement organisé, avec lequel le pouvoir est tenu de compter, qui réclame la rentrée des jésuites et affirme hautement son intention de contribuer à remettre le saint-père en possession de Rome et de son territoire ? Prêter de pareilles intentions à la république française, à un gouvernement de laïcisation, c’est abuser étrangement de la crédulité publique. En évoquant le traité de