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sort en est jeté. La république aura les deux océans pour frontières ; il est désormais inutile d’en tracer d’autres sur les cartes. » Non-seulement la question indienne restait sans solution, mais elle se compliquait par l’afflux de l’immigration étrangère et par l’addition de 145,000 Indiens disséminés dans les états du Pacifique.

Ici, plus encore qu’ailleurs, ils gênaient, et, moins qu’ailleurs, les considérations de justice et d’humanité devaient prévaloir. Les aventuriers du monde entier envahissaient la terre de l’or livrée à l’anarchie. L’Indien ne pouvant être un instrument, un esclave, restait un obstacle ; on le supprima. Nulle part le mot cruel : good Indian, dead Indian (bon Indien, l’Indien mort), ne trouva autant d’écho, et, lorsque dix ans plus tard, on créa les réserves de Téjon, de Fresno, de Mendocino, de Nome-Cut, tout au plus recueillit-on 2,000 Indiens échappés aux balles des émigrans, et encore 150 Indiens parqués à Nome-Cut, ayant chassé de leur réserve le bétail des settlers, qui dévastait leurs champs de maïs, furent tués jusqu’au dernier par les settlers qui convoitaient leurs terres. A Mattole, on les tuait pour la même raison, et 60 d’entre eux qui refusaient de se laisser interner dans la réserve Mendocino étaient massacrés par la milice de l’État chargée de les y conduire[1].

Antérieurement à la conquête américaine et à la découverte de l’or, les Indiens, groupés autour des missions mexicaines, vivaient en paix dans un état de demi-servage. Les jésuites d’abord, les franciscains ensuite, les employaient aux travaux des champs, à la construction des églises, allouant à chacun d’eux non un salaire dont ils n’auraient su que faire, mais des vivres, des vêtemens et le terrain nécessaire à leur bétail. De ces nomades misérables ils avaient fait des convertis sédentaires, résignés à leur sort, à tout prendre tolérable. Mais les terrains qu’ils occupaient avaient été, après la conquête, déclarés terres de l’État. Apathiques et indifférens, les Indiens continuaient à y vivre, se considérant comme tenus de rendre aux fermiers, nouveaux propriétaires du sol, les mêmes services qu’ils rendaient aux missionnaires. Attachés à la glèbe, ils passaient, avec elle, en d’autres mains, mais se considéraient comme légitimes propriétaires de leurs enclos particuliers. Ils l’étaient, en effet, et par droit de préemption et par prescription ; ils l’étaient d’autant plus que les missionnaires n’avaient jamais été que gérans des terres indiennes qu’ils administraient au mieux des intérêts de tous, et qu’en 1834 un décret du gouvernement mexicain avait reconnu et confirmé aux Indiens leurs droits de propriété particulière et aussi de propriété collective et indivise

  1. Reports on Califomia agencies, 1859-1860.