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d’actes de violence, en priant ardemment. Au nombre de leurs habituelles cérémonies religieuses figuraient les danses sacrées. Il invitait ses auditeurs à les multiplier et, par leurs sollicitations, à fléchir la colère divine. Il n’est pas douteux que les délégués des Cheyennes, des Sioux, des Arapahoes, des Utes, des Navajoes, des Bannocks, successivement envoyés par leurs tribus auprès du messie, n’aient, ou comme ceux des Sioux, complètement dénaturé le sens de ses exhortations, ou, comme ceux des Cheyennes, laissé planer une certaine ambiguïté sur ses paroles. Une doctrine qui invitait à la résignation, à la patience, à la paix, n’était pas, dans les circonstances présentes, pour rallier des adhérens. On s’en tint donc aux prédictions faites, à leur réalisation prochaine ; elles répondaient mieux aux impatientes espérances des Indiens et aux désirs des chefs.

Par une singulière coïncidence, ces prophéties du messie indien cadraient exactement avec celles des mormons. Elles aussi annonçaient de grands événemens pour les mêmes temps. Dès 1832, Joseph Smith avait prédit l’apparition d’un messie en Amérique, lequel, comme Moïse, devait relever son peuple et le guider hors de la terre d’Egypte[1]. La date même de sa venue était indiquée dans la section 130 des prophéties de Joseph Smith, aux versets 14 et 15, en ces termes : « Et je priais le Seigneur avec ardeur, lui demandant quand viendrait ce Fils de l’homme, et une voix me répondit : — Joseph, mon fils, si tu vis jusqu’à quatre-vingt-cinq ans, tu verras de tes yeux le Fils de l’homme. Que cette réponse te suffise et ne m’interroge plus à ce sujet. » Né le 23 décembre 1805, Joseph Smith, s’il n’eût été assassiné le 27 juin 1844, aurait eu quatre-vingt-cinq ans le 23 décembre 1890.

Ainsi que les Indiens, les mormons s’attendent à d’importans événemens en 1891. Dans l’assemblée annuelle des elders, ou anciens, tenue le 4 octobre 1889 à Salt-Lake-City, le président Woodruff et les anciens B.-H. Roberts, Morgan et Thatcher ont successivement pris la parole pour rappeler les promesses faites et inviter les chefs mormons à redoubler de ferveur et de zèle pour mériter les grâces prochaines.

Y a-t-il là autre chose qu’une coïncidence accidentelle ? On peut l’admettre. Les liens entre les mormons et les Indiens sont étroits ; entre l’Utah et les Réserves les rapports sont fréquens ; l’Indien et le mormon ont mêmes griefs et même haines. L’un et l’autre se tiennent pour dépossédés ; le mormon de ses terres du Missouri, l’Indien de ses territoires de l’ouest. Dès le début de leur exode

  1. Times and Seasons ; Liverpool, 27 novembre 1832.