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et au travail des champs, accoutumés à vivre des rations allouées à la tribu, habiles à éluder une surveillance difficile à exercer sur d’aussi vastes espaces. Experts dans les ruses indiennes, ils franchissent en petites bandes les limites des réserves, fondent à l’improviste sur les fermes isolées qu’ils pillent, enlevant les chevaux et le bétail. Leurs compatriotes n’ont garde de les dénoncer ; ils les tiennent pour des braves et vantent leurs exploits. Les Bucks aiment la parure, comme tous les Indiens ; ils affectent des allures nonchalantes pour déjouer les soupçons ; ils critiquent l’inertie des chefs et représentent l’élément actif de la tribu. Au contact de certains blancs, et surtout des rôdeurs de prairies, ils ont pris le goût de l’eau-de-vie, du jeu, des orgies, du vol, le mépris de la vie humaine ; ils n’ont gardé de l’Indien que ses vices, sur lesquels ils ont greffé ceux des blancs. S’ils ne forment pas la majorité, ils ne laissent pas d’avoir leur part d’influence et sont toujours prêts à se rallier autour de celui des chefs qui leur donnera, le premier, le signal de la révolte et du pillage.

Puis des idées nouvelles s’infiltrent dans ce monde indien ; des récits étranges, merveilleux, viennent troubler ces imaginations mobiles. Les échos de l’Europe se répercutent jusque dans ces régions lointaines, et ce n’est pas l’un des faits les moins curieux à noter que l’impression produite sur les Sioux par notre Exposition du centenaire, et aussi de voir mêlés aux événemens qui s’accomplissent les noms de Buffalo-Bill et de ses compagnons.

Le 13 novembre 1890, le vapeur Belgenland ramenait à Philadelphie 39 Sioux, de la tribu des Ogallala, revenant d’Europe, où ils avaient passé deux années. Tout Paris a pu les voir aux représentations données, pendant l’Exposition, par le Salsbury wild West show, dirigé par Buffalo-Bill, de son vrai nom Cody. À peine débarqués, ils rejoignaient les Sioux dans le nord Dakota, et Buffalo-Bill envoyait au New-York Herald, de Mandan, la ville la plus menacée au cas d’une prise d’armes indienne, un télégramme daté du 1er décembre 1890, dans lequel il donnait son avis sur la situation. « En réponse à la dépêche, disait-il, par laquelle vous me demandez ce que je pense de la ferveur religieuse actuelle des Indiens, je vous dirai que je viens de passer quelques jours parmi les Sioux de Sitting-Bull. Quand je suis parti hier, ils se livraient avec ardeur, hommes, femmes et enfans, à leurs danses sacrées. Ils danseraient, disaient-ils, tout l’hiver, ou mourraient, — ce dont ils n’avaient souci, assurés de renaître au printemps et de traverser ainsi, sans souffrance, une période de faim et de froid. Ici, Sitting-Bull est le chef et l’inspirateur de la révolte. La situation est des plus graves. Si nous étions au printemps, la lutte serait déjà