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La conséquence de cette réaction naturelle fut une reprise et même un redoublement d’animosité dans l’entourage royal contre le maréchal. Les mécontens, les envieux, les frondeurs, réduits un instant au silence par l’éclat d’un exploit auquel il fallait bien rendre hommage, relevèrent la tête, dès qu’ils purent à la fois s’apitoyer et s’indigner sur le sang versé inutilement. Mais ce qu’on a peine à croire, c’est qu’au lieu de se borner à accuser, comme on l’avait déjà fait après Fontenoy, l’insuffisance et l’imprévoyance des dispositions prises par le maréchal, on eut bien le courage de reproduire, en l’aggravant, la sotte imputation qui lui prêtait le dessein de perpétuer la guerre, afin de prolonger l’importance de son rôle. S’il avait livré la bataille, c’était bien malgré lui, dit-on, et de propos délibéré, il l’avait laissée inachevée, afin de garder en réserve l’occasion de remporter de nouvelles victoires. On voudrait douter d’un tel excès d’injustice et de crédulité si ce bruit ridicule n’était sérieusement consigné et légué à l’histoire comme un fait avéré, dans les souvenirs de Valfons lui-même, si vaillamment dévoué au maréchal pendant le combat. Il est vrai que c’était le ministre de la guerre, le comte d’Argenson, qui ne craignait pas d’accréditer le soupçon par des insinuations captieuses et en témoignant une surprise affectée de ne pas se trouver le lendemain plus avancé que la veille. On disait couramment autour de lui et on écrivait à Paris que le roi, bientôt éclairé, ne tarderait pas à reconnaître le peu que c’est que le maréchal de Saxe.

Maurice, de son côté, avait de chauds amis, très ardens à le défendre, et lui-même n’était pas d’une patience à toute épreuve : comment n’aurait-il pas répondu ou, tout au moins, laissé dire qu’après tout il n’avait eu ni ce jour-là, ni aucun autre, la pleine liberté de ses mouvemens; qu’il n’avait choisi lui-même ni l’heure, ni le lieu du combat, et qu’en risquant sa vie et en sauvant l’honneur des armes françaises, il obéissait encore plus qu’il ne commandait? S’il est vrai qu’il lui échappa de dire: — « Voilà ce que c’est que de forcer les généraux, » — Cette justification, sans répondre à toutes les critiques, avait sa valeur ; mais ajouter, comme plus d’un de ses défenseurs n’hésita pas à le faire, que c’était le ministre de la guerre lui-même qui avait contraint le général à engager la partie dans des conditions défectueuses, avec l’espérance qu’il la perdrait et se perdrait lui-même du même coup, c’était répondre à une calomnie par une autre qui n’était ni moins odieuse, ni plus vraisemblable, et rien ne prouve que Maurice, même par représailles, s’en soit rendu coupable.

Quoi qu’il en soit, l’hostilité n’en resta pas moins désormais déclarée entre les deux hommes dont dépendait le sort