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ne réclame pas un droit sur le coton. D’autres se chargent de réparer cette omission, qui ferait tort au fin et au chanvre. Une proposition de loi a été présentée à la chambre par un député du Nord à l’effet de taxer le coton, un exotique, dont les produits prennent dans la consommation une place qui serait plus avantageusement occupée par ceux du lin, de culture française.

Ainsi, les protectionnistes ne se bornent plus à solliciter des droits sur les produits similaires, qui feraient une concurrence directe ; ils prétendent taxer même les produits que la France ne cultive ni ne fabrique, uniquement pour nous obliger à consommer plus chèrement, contre notre intérêt ou notre gré, des produits français. On vient de taxer le maïs au profit de l’avoine; on frappe de droits excessifs le pétrole au profit de l’huile de colza ; on veut mettre des droits sur le coton au profit du lin. C’est la logique du système. En 1826, un député dont le nom a marqué dans les fastes du protectionnisme, M. de Saint-Chamans, proposait de quintupler les droits sur le coton pour augmenter la fabrication de la laine, du lin, de la soie, et le ministre du commerce, M. de Saint-Cricq, un protectionniste non moins qualifié, lui répondait excellemment : « Pense-t-on que l’on dirige à son gré la mode, les goûts, les besoins de trente millions de consommateurs? La mode veut des cotonnades, et la mode n’est pas ici un pur caprice, elle est aussi un calcul. Quel tissu est susceptible de procurer au même prix des jouissances si diverses, aussi fréquemment renouvelées? Chargez le coton d’un fort droit, vous diminuerez sans doute la consommation des cotonnades, mais vous diminuerez en même temps le travail et les jouissances publiques, etc. » Et le ministre ajoutait : « Sans doute, le coton est un produit exotique, mais ce produit est un immense élément de travail, et il n’est pas seulement le travail auquel il s’applique, il crée de plus le travail par lequel nous en payons le prix. Ce prix, nous l’acquittons en vins, en eaux-de-vie, en soieries, en draperies, en cotonnades même... » Tel est en effet le bienfait des matières premières abondamment procurées à un pays qui, comme le nôtre, sait les mettre en œuvre et les transformer en produits plus riches par le travail d’une industrie perfectionnée. Les législateurs de 1891 se montreront-ils moins soucieux du travail et des « jouissances publiques » que ne l’était, en 1826, M. de Saint-Cricq? Il faut espérer que le gouvernement tiendra bon contre les propositions vraiment archaïques qui visent le coton, ainsi que les autres matières premières, et que la majorité de la chambre ne se laissera pas entraîner à ces étranges abus de la protection.

Comment des prétentions aussi excessives ont-elles pu se manifester au grand jour, avec tant de résolution, avec une audace qui