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aussi bien que dans les villes. Elle causerait un grave préjudice aux patrons, elle ne profiterait pas aux ouvriers, qui, tout en recevant un plus fort salaire, auraient à payer plus cher ce qu’ils consomment. Ce n’est pas ainsi que la France sera en mesure de lutter plus avantageusement contre la concurrence. En outre, il ne faut pas croire que la hausse des salaires, résultant du renchérissement de toutes choses, devra s’opérer mathématiquement en proportion rigoureuse avec ce renchérissement. Les réclamations des salariés iront bien au-delà. Ils diront, ou ceux qui les mènent diront en leur nom : «Le tarif a été révisé pour la protection du travail national : le travail national, c’est nous, ouvriers, autant et plus que vous, patrons. A nous notre part. Il n’est pas juste que vous obteniez une augmentation de profits pour le capital, sans que nous obtenions, nous aussi, une augmentation de salaire. » Certes, ce raisonnement, qui paraît en équilibre, n’est point décisif; il y sera fait plus d’une réponse. Mais la discussion ne s’en- gagera pas moins sur le droit des ouvriers à leur part de protection, puis sur la quotité de cette part. On peut juger de l’effet que produirait un tel brandon porté au milieu des agglomérations d’ouvriers. Si le tarif éteint la concurrence de l’étranger, il risque de devenir, à l’intérieur, une machine de guerre et de grèves.

Il est incontestable que depuis vingt ans les fermages agricoles et les profits industriels sont moindres que pendant les années prospères de l’empire. A une période de hausse dont la propriété foncière et les capitaux industriels ont largement profité, a succédé une dépression, à laquelle les propriétaires, avec leurs revenus rognés, et les patrons, avec leurs profits réduits, sont excusables de ne pas se résigner facilement. La république n’est, en aucune façon, responsable de cet état de choses, non plus que le tarif des douanes. La baisse provient, en grande partie, d’une évolution économique observée dans la plupart des pays. Entre les trois élémens qui concourent à la production, — capital, intelligence, travail manuel, — le capital voit sans cesse diminuer son revenu ou sa part des profits, tandis que s’accroissent la rémunération de l’intelligence active et le salaire du travail. Ce changement dans la part faite à chacun des élémens de la production se manifeste avec le plus d’énergie dans les pays régis par des institutions démocratiques ou très libérales. C’est un fait contre lequel ne prévaudra ni loi ni tarif et qui se traduit par la réduction du taux de l’intérêt et par la diminution des prix des fermages. Si les propriétaires fonciers se plaignent de ne pouvoir renouveler les baux moyennant les anciens prix, est-ce que toutes les personnes en quête de placement ne se plaignent pas, de leur côté, du minime intérêt que leur offrent la rente et les bonnes valeurs de