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bourse ? Le propriétaire qui ne cultive pas et le capitaliste qui ne travaille pas verront, au cours de cette évolution, diminuer leurs revenus au profit de ceux qui donnent à loyer leur intelligence et leurs bras. L’élévation du tarif des douanes ne modifierait en rien cette répartition nouvelle, et, produisant le renchérissement général, elle pèserait de tout son poids sur de nombreuses catégories de citoyens, petits rentiers, retraités, employés à traitement fixe, etc., dont la situation modeste mérite bien aussi d’être protégée.

Il n’en est pas moins vrai, diront les protectionnistes, que la hausse des prix de revient ne laisse plus une marge suffisante pour qu’il reste un profit dans les prix de vente comprimés par l’excès de la concurrence étrangère, et c’est pour modérer cette concurrence, pour garantir la prospérité, l’existence même du travail national, qu’il convient de réviser le tarif. — Il semble pourtant que les progrès scientifiques et techniques, l’emploi des machines, les facilités de transport, la production par grandes masses, etc., ont du procurer, en France comme ailleurs, l’abaissement des prix de revient. Si pourtant il n’en est pas ainsi, quelle est la cause? C’est que l’un des élémens de la production française, comparée avec la production étrangère, tend à prendre des proportions qui ne s’accordent plus avec le cours naturel des choses, à savoir l’élément qui se compose des profits, des rémunérations de toute sorte et des salaires. Dans l’agriculture, dans l’industrie, dans le commerce, chacun prétend aujourd’hui s’enrichir vite ou être largement payé de son labeur. A une époque qui n’est pas encore bien éloignée, les profits étaient modestes, acquis par de longues années de travail, et les salaires étaient peu élevés. Il ne faut pas regretter ce temps. Le progrès général, la diffusion de l’instruction et la plus grande productivité du travail, ont déterminé une hausse normale et légitime dans le taux des rémunérations et des salaires ; de là, des habitudes et des besoins de bien-être, et, au point de vue matériel, une amélioration évidente. Mais si chacun, voulant se faire sa part, exagère les prétentions; si les uns, au risque de chuter à la première étape, courent trop vite à la fortune ; si les autres, profitant de la faiblesse ou même de la complicité intéressée des pouvoirs publics, réclament des salaires excessifs et le vote de lois prétendues démocratiques, qui aggravent les charges de l’industrie, alors il n’y a plus de limite au prix de revient, tous les calculs de la production sont faussés, et toute comparaison avec les conditions du travail à l’étranger devient impossible. N’est-ce pas ce que nous voyons aujourd’hui? Sans être tout à fait exemptes de ces difficultés, les autres nations se trouvent, sous le rapport du travail, dans une situation moins agitée, plus saine. Il n’est donc