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instinct protecteur, qui, sans le secours d’aucun effort intellectuel, met en garde contre les causes de mort. La vie sans la douleur, le dégoût et la peur, serait absolument incompréhensible.

Les sentimens d’attraction sont tout aussi nécessaires que les sentimens de répulsion : les principaux sont le besoin de respirer et le besoin de manger. Le besoin de respirer est si impérieux que nous ne pouvons rester plus d’une minute sans respirer. Quelques secondes d’asphyxie amènent une angoisse épouvantable. C’est certainement de tous nos sentimens le plus puissant, montrant avec une clarté éclatante à quel point la machine vivante est une machine chimique, puisqu’elle exige, pour ne pas périr, un apport d’oxygène incessant.

Le besoin de manger et de boire est aussi impérieux que le besoin de respirer ; mais il s’exerce à de bien plus grands intervalles. Au fond, ces deux besoins, celui de la respiration et celui de l’alimentation, sont deux besoins d’origine chimique, comme Lavoisier l’a admirablement démontré : l’alimentation apportant le combustible et la respiration apportant le comburant.

Et on ne comprendrait pas que ces deux besoins ne fussent pas impérieux. S’ils n’existaient pas en nous, s’ils n’avaient pas cette force irrésistible, supérieure à tout raisonnement, il y a beau temps que l’humanité aurait disparu. Supposer que la respiration est confiée à notre intelligence ou à notre attention, sans que le besoin irrésistible de respirer soit là, c’est admettre une énorme absurdité : à savoir que notre intelligence et notre attention ne seront jamais une seule minute en repos ou en défaut, depuis le premier jour de notre existence jusqu’à la fin.

Ainsi les êtres vivans, hommes et bêtes, sont organisés pour vivre, et il est presque impossible de savoir si ces besoins inhérens à l’organisation sont le résultat ou la cause de l’existence. Sans eux, en effet, nulle vie ne serait possible.

Les besoins attractifs ou répulsifs ont donc pour but la conservation de la vie, et il faut envisager tous les êtres vivans, quels qu’ils soient, végétaux ou animaux, comme des êtres cherchant à vivre, faits pour vivre, et pourvus d’une organisation admirablement adaptée au milieu qui les entoure.

Si la nature a un but, voici son but : assurer la vie de ses enfans. Leur souffrance importe peu si leur souffrance parvient à protéger cette vie à la protection de laquelle tout est sacrifié.

On peut même supposer, en voyant l’infinie diversité des formes vivantes qui habitent notre globe, que cette diversité a une raison d’être dans la diversité des milieux. Pour que la somme de vie soit aussi grande que possible, il faut des animaux marins, terrestres, aériens. Il faut des êtres qui vivent au froid, d’autres qui vivent