Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des animaux entre eux : « Ce n’est pas un cri de joie qui, des flots azurés ou des profondes forêts, s’élève vers le ciel, c’est un cri de détresse et de douleur. C’est le cri des vaincus. Luttes fratricides, combats acharnés, proies dévorées vivantes, carnage, massacre, douleurs, maladies, famine, morts sauvages, voilà ce qu’on verrait si le regard pouvait pénétrer ce que cachent dans leur sein l’impassible Océan ou la tranquille forêt. Chaque pierre abrite un essaim d’êtres vivans, chaque pierre abrite aussi des luttes implacables. Tous les enfans de la Nature s’acharnent l’un sur l’autre. Des milliers de souffrances obscures se dissimulent sous l’herbe des prairies et sous la roche du rivage. »

Quelque sombre que soit ce tableau, il n’est pas trop chargé, et il représente d’une manière plutôt adoucie les terribles luttes auxquelles se livrent, pour avoir le droit d’exister, tous les êtres vivans. Mais il est incomplet ; car, à côté de ces drames de guerre et de massacre, il y a simultanément toute une série de poèmes amoureux. A chaque printemps, c’est, dans toute la nature, une sorte de fièvre de fécondation qui s’empare de tous les êtres. Partout où il y a la vie, partout apparaît l’amour. L’herbe de la prairie, la mousse de la forêt et la pierre du rivage, si elles abritent des luttes sanguinaires, abritent aussi des tendresses ardentes. Si un cri de douleur monte vers le ciel, un cri d’amour y monte en même temps. La Nature frémissante assure la vie de l’individu par la guerre, tandis qu’elle assure la vie de l’espèce par l’amour. Certes, c’est un merveilleux spectacle que cette agitation féconde, cet immense effort de la Nature pour ne pas périr. L’espèce doit vivre, et c’est l’amour seul qui entretient cette vie. Chaque printemps assiste à une création nouvelle sans laquelle la vie disparaîtrait de la terre.

Point d’exception à cette ardeur. Consciens ou inconsciens, tous les êtres cherchent à s’unir : mollusques, insectes, reptiles, oiseaux, quadrupèdes. Une passion invincible les pousse. Ce sont des instrumens entre les mains de la toute-puissante Nature, qui, pour assurer la perpétuité de la vie, leur a donné la passion de l’amour, et a su la leur donner si forte que rien ne peut l’atténuer ou l’éteindre.

Ce sentiment inconscient qui pousse tous les êtres à l’amour, Mme Ackermann l’a exprimé en si beaux vers, inspirés de Lucrèce, que nous devons les citer.


Elle n’a qu’un désir, la marâtre immortelle,
C’est d’enfanter toujours, sans fin, sans trêve, encor.
Mère avide, elle a pris l’éternité pour elle,
Et vous laisse la mort.