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Nulle part, dans la série animale, ne se trouverait ce spectacle répugnant de l’amour subi sans amour, presque avec dégoût ; je ne dirai pas pour l’appât d’un misérable lucre, mais par suite d’une déplorable organisation sociale.

Nous en connaissons les causes ; mais quel pourrait en être le remède ? Nous n’oserions même pas dire qu’on trouvera un remède à la prostitution. Mais nous n’avons pas ici à faire acte de préservation sociale. Nous nous contentons d’indiquer en quoi nos sociétés humaines diffèrent des sociétés animales, et nous sommes forcés d’avouer que les nôtres sont à cet égard d’une moralité bien inférieure[1].

Laissons cela, puisque aussi bien le mal est irréparable, — ou peu s’en faut. — Et voyons ce que la société a fait pour constituer la famille.


La famille, — Telle qu’elle est constituée dans nos sociétés humaines : réunion du père, de la mère et des enfans, — n’existe pas chez les animaux. Chez les oiseaux, elle est transitoire ; chez les quadrupèdes, le plus souvent il n’y en a pas de trace.

En effet, le mâle, quand il a satisfait à ses désirs amoureux, ressent une sorte de lassitude ou tout au moins d’indifférence. Le contraste est étrange entre les allures batailleuses et victorieuses qui précédent et les allures modestes ou mélancoliques qui suivent. Un vieux proverbe latin, que nous modifierons quelque peu, s’exprime ainsi : In amore animal ferox ; post amorem animal triste. Cette lassitude, cette satiété vont jusqu’à l’insouciance de la progéniture à venir. Il s’en va, et abandonne la femelle, sans se préoccuper du sort des petits qu’elle peut avoir.

Or, chez l’homme, à l’état de nature, d’après ce que nous savons des races humaines inférieures, il en est à peu près de même,

  1. Parmi les causes de la prostitution, il en est une prépondérante : c’est l’âge, très tardif, auquel, par suite des exigences sociales, militaires ou autres, les hommes se marient. La moyenne de l’âge du mariage est, pour les hommes, de vingt-sept ans, comme l’indiquent les statistiques. Il est évident que c’est beaucoup trop tard. Je ne sais comment le législateur pourra y remédier ; je n’oserais même pas dire qu’il ait mission de le faire ; mais il est certain que l’âge de vingt-sept ans ne coïncide nullement avec la puberté. On ne peut exiger que de vingt à vingt-sept ans les jeunes hommes mènent une vie chaste ; cela est absolument contraire à leur organisation physique et psychique, tellement contraire, que les sentimens amoureux ne sont jamais aussi puissans qu’à vingt-cinq ans. Et on veut qu’à cet âge, et pendant deux, trois, cinq, dix ans encore, l’homme, — qui n’est même plus un jeune homme,— Conserve sa chasteté. C’est demander l’impossible ; c’est vouloir violenter la nature, qui ne se laisse jamais, quoi qu’on fasse, impunément violenter, et qui reprend toujours ses droits, bien supérieurs à toutes nos conventions administratives.