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toutes les imperfections sociales, ou du moins admettre en principe la possibilité de ce redressement. Pourquoi ne remédierait-il pas aux plus grands maux, à l’insécurité du travail, au chômage? « Pourquoi, demandait Liebknecht, le prince de Bismarck ne vient-il pas dire : quiconque a faim et se trouve sans travail s’adressera à l’état ? Ce serait le socialisme complet. » — « Je veux vous l’avouer franchement, disait Bebel au Reichstag, si quelque chose a favorisé l’agitation socialiste, c’est le fait que le prince de Bismarck s’est jusqu’à un certain point déclaré pour le socialisme; seulement, nous sommes dans ce cas le maître et lui est l’écolier. » La loi d’assurance contre la vieillesse et l’invalidité, que M. Grad a étudiée ici même[1], fait servir par l’état des rentes à un nombre de personnes qui peut s’élever jusqu’à 11 millions. Le principe admis, il est bien évident que les meneurs vont réclamer que l’on élève indéfiniment le chiffre de ces rentes. Liebknecht compare déjà cette législation à une loi des pauvres modifiée, à de petites aumônes que l’on prend dans la poche des travailleurs eux-mêmes. « L’état moderne ne peut résister à la poussée universelle, quand il a provoqué l’éternelle illusion[2]. » Ces lois exigent en outre de monstrueux appareils bureaucratiques, destinés à inspirer aux ouvriers une profonde aversion pour l’assurance obligatoire, en les soumettant à des formalités très compliquées, à une insupportable tutelle. Aussi témoignent-ils d’une apathie presque absolue en présence des bienfaits de cette législation. La loi d’assurances contre la vieillesse, l’invalidité, est entrée en vigueur le 1er janvier 1890. On a peine à les décider à se procurer à temps les pièces nécessaires. Ils ne croient pas, d’ailleurs, à la bonne foi des classes dirigeantes; la réforme sociale qu’elles prétendent entreprendre est destinée dans leur pensée à détourner la classe ouvrière des vraies solutions. Le socialisme d’état n’a pas réussi à gagner le cœur des ouvriers.

En même temps qu’il tentait cette expérience inquiétante, le prince de Bismarck, par sa politique protectionniste, inaugurée en 1879, jetait un nombre de mécontens toujours croissant dans les bras du parti. Les nouveaux impôts indirects, destinés à consolider l’empire, les privilèges accordés aux grands propriétaires, éleveurs, raffineurs, bouilleurs de cru, qui tiraient de cette législation des revenus considérables, ont eu pour conséquence le renchérissement des objets de première nécessité, dont les journaux socialistes ne cessent de se plaindre. Admirez, peuvent-ils dire, la contradiction! Se proclamer, comme l’a fait le prince de Bismarck, socialiste à sa

  1. Voyez la Revue du 1er avril 1890.
  2. Paul Leroy-Beaulieu, l’État et ses fonctions, p. 280.