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cette malheureuse ville du pillage, mais il n’a pas été humainement possible de, le faire. Trois cents volontaires de notre armée qui me sont tombés des nues ont donné de si mauvais exemples, qu’il n’y a pas eu moyen que tous les équipages des généraux et des officiers, les approvisionnemens et ce que les habitans y avaient laissé encore ne fussent entièrement pillés. »

Il est vrai qu’après s’être excusé ainsi pour la forme, il ajoutait une remarque qui ne prouvait pas que ces excès l’eussent beaucoup scandalisé. « Cela a prodigieusement enrichi l’armée, et j’espère que cela la rendra aussi audacieuse que cela humiliera celle des ennemis, » et il entrait avec complaisance dans le détail du grand nombre de canons, de munitions, de choses de toutes sortes et de prisonniers qui restaient entre leurs mains[1].

Lowendal n’avait pas tort de craindre l’effet qu’allait produire ce douloureux dénoûment d’une journée si honorable pour lui. Il semble en vérité qu’une sorte de mauvaise chance s’attachât aux pas de l’armée de Maurice pour lui enlever le fruit de tous les succès qu’elle remportait. A Rocoux, à Lawfeldt, la victoire était restée stérile, faute d’être complétée ; à Berg-op-Zoom, le but qu’on se proposait, le grand effet moral à produire fut compromis au contraire pour avoir été dépassé.

Ce ne fut pas, cette fois non plus, le premier jour qu’on s’aperçut de ce qui devait le lendemain troubler la joie du triomphe. La satisfaction, au camp français, fut d’autant plus générale qu’elle succédait à une plus longue attente et à de plus vives alarmes. Maurice, entrant chez le roi pour lui annoncer la nouvelle, n’hésita pas à lui demander sur-le-champ, pour son valeureux lieutenant, étranger et protestant comme lui, la récompense inaccoutumée qu’il avait obtenue pour lui-même. Le roi enchanté, mais surpris, hésitait; le comte d’Argenson, debout derrière lui, gardait un silence chagrin : « Que dira ma noblesse? — Elle dira, sire, reprit Maurice, que Votre Majesté sait récompenser les grandes actions, et qu’il n’est rien d’impossible aux soldats de Votre Majesté, bien commandés. » L’assentiment royal fut ainsi enlevé, et les murmures des rivaux mécontens ne se firent plus entendre qu’à demi-voix : le ministre lui-même, tout en s’excusant et en jurant qu’il n’était pour rien dans ce choix précipité, n’en fut pas moins obligé d’écrire à Lowendal en le félicitant d’avoir à lui transmettre une grâce si bien méritée[2].

Il fallait bien qu’il s’exécutât, puisque Maurice l’avait devancé

  1. Lowendal à Maurice de Saxe, 16, 17 septembre 1747. (Ministère de la guerre.)
  2. Souvenirs du marquis de Valfons, p. 244.