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fort, fidèle, qu’aime la jeune fille anglaise, le héros de tous les romans anglais. En effet, on sent en lui comme une assise sérieuse et solide. Sur la religion, le devoir, la famille, il est muni d’idées héréditaires très nettes et très profondément enracinées. Physiquement et moralement il est un gentleman de race et d’éducation. « Mes ancêtres, me dit-il avec un accent de fierté, sont arrivés en Irlande avec Cromwell. » Né sur le domaine paternel, il est l’héritier d’une lignée de squires. Première enfance passée à la campagne, au milieu des fermiers qui l’aimaient et le respectaient comme le jeune maître; la large vie de famille dans le grand manoir, les premières chasses aux côtés du père et du grand-père, eux en habit rouge sur de grands hunters, lui planté sur un petit poney; la Bible apprise et le sentiment religieux établi à demeure, dès la nursery par des images, par des textes qui décorent les murs, par les prières en famille devant les domestiques, par les longs et solennels services entendus au banc d’honneur dans l’église de la paroisse ; puis Rugby, le sentiment de liberté et de dignité appris, le contact de camarades dont il faut se faire respecter, beaucoup de cricket et de foot-ball. Par là-dessus, la préparation aux examens de l’armée, la carrière militaire ayant été choisie comme la plus digne d’un gentleman. — A présent, il est lieutenant dans un régiment d’élite (crack-regiment). il parle avec fierté de son corps : « Mon régiment était à la bataille de Quatre-Bras. On chargea trois fois les Polonais, mais sans pouvoir les approcher. Tous nos officiers furent tués. J’ai lu le récit dans la gazette du régiment. »

Dans l’Inde, sa vie a trois grandes occupations, sa femme, dont il est amoureux, son service, le sport. Existence large, coûteuse, celle d’un gentleman qui vit parmi ses pairs. J’ai vu une photographie de sa maison, grande villa fraîche, à colonnes doriques, au milieu d’une vaste pelouse : devant le portique, sa femme conduit une charrette anglaise. — Impossible d’être officier, m’explique-t-il, sans ressources personnelles. Sa solde est de cent soixante-quinze roupies par mois. Or, au mess, les vins et la table en coûtent deux cents. Les chevaux et les uniformes sont chers, le service, l’installation du cercle, les dîners sont luxueux. Bref, ils vivent en aristocrates, en nobles, mais généralement ils sont nobles par la fierté et le courage. Le devoir d’un noble est celui d’un chef, et ces fils de squires savent se conduire en chefs. Le sentiment du devoir soutenu par un fond d’orgueil peuvent en faire des héros. Là-dessus, voyez-les à Lucknow, voyez la conduite de sir Henri Lawrence, leur résignation religieuse, leur intrépidité froide et grave.

« Que fait l’officier indien quand il n’est pas de service ? Comment