Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/310

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tout ceci s’applique aux trois autres officiers qui sont à bord et qui tous vont passer en Angleterre leur congé d’un an. Le matin, après la douche, vêtus de pujamas fantaisistes, ils arpentent le pont humide. Puis en petits vestons clairs, en bonnets de drap, en pantalons de flanelle, en souliers de toile, jusqu’au soir ils causent, ils jouent, ils rient, ils bourrent éternellement leurs petites pipes droites, de mielleux tabac anglais, ils lisent des romans inoffensifs, de morale simple, et d’intrigue compliquée. D... est le plus jeune, le plus écolier (boyish) des quatre. Mais le capitaine M. .. est plus sérieusement, plus profondément, plus constamment épanoui. Lui aussi est fils de squire, il a grandi dans un coin de cette Angleterre patriarcale et agricole, qui disparaît en ce moment. « J’aimais bien les vieux fermiers, et, quand ils avaient quelque peine (when they were in trouble), leur façon de venir demander à ma mère un bout de conseil. » Le matin, quand il s’habille, nous l’entendons chanter comme un merle dans sa cabine. Il cause avec tout le monde, et son grand sourire rayonnant nous met de la joie au fond du cœur. Le soir, lorsqu’il a revêtu son habit, sa vaste poitrine tend la large surface glacée de son plastron. Assis au bout de la table où il découpe les grandes tranches roses de roastbeef, il est plus noble, plus heureux que jamais. Aujourd’hui, 1er janvier, comme il avait à ses côtés deux jeunes filles Italiennes, avec lesquelles il est en flirtation réglée, il a proposé : La reine Marguerite ! mais d’un ton de voix ordinaire, avec un demi-sourire. Ensuite, il s’est levé, et cette fois, la figure illuminée, regardant lentement autour de lui, solennellement il a dit : « La reine, messieurs! » et je n’oublierai pas l’élan jeune, avec lequel le lieutenant de hussards a répondu « God bless her ! Que Dieu la bénisse !.. »


Miss M.., des missions wesleyennes, réside à Jeypore, où son métier est de pénétrer dans les Zenanas, de visiter les dames hindoues en amie, en missionnaire, en maîtresse d’école. Petite, sèche, plate, solide, lèvres minces, un lorgnon campé sur le nez busqué, elle arpente le pont d’un pas de grenadier avec les officiers ou le professeur M. .. de l’Université de Bombay. Tout d’abord elle déplaît beaucoup. Je pense à ces grands yeux sombres et timides des femmes de l’Inde, à leur grâce, à leur douceur silencieuse. On aperçoit en elles des êtres imaginatifs et passionnés, sensuels et rêveurs. Comme on comprend que l’Hindou soit choqué de l’indépendance et de la démarche virile de la femme anglaise !

Celle-ci me décrit sa vie à Jeypore. Elle habite avec une autre dame des missions une villa confortable, munie de pankahs, de