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7 janvier.

Port-Saïd. — Après l’Orient hindou, cet Orient d’Egypte est de bien maigre effet. Où sont les nudités de la foule pullulante sous le soleil indien? Ces gens-ci sont trop vêtus, trop enveloppés de leurs jupes vertes.

Vilaines rues régulières qui se coupent à angles droits, bordées de façades carrées que couvrent des affiches. Une odeur fade monte du sable brun dans lequel on avance. Les cafés-concerts, les boutiques de photographies, les magasins de nouveautés se succèdent. Population de rastaqouères levantins. Cette ville est un hôtel cosmopolite où tous les bateaux lâchent leurs voyageurs, abondamment pourvue de toutes les jouissances que peut convoiter le matelot après de longues traversées, enrichie par ses mauvais lieux et la vente de ses photographies obscènes. Rien de triste et de laid comme ces carrefours banals qui n’ont point d’existence propre, qui ne vivent que du passage continu des étrangers en quête de plaisirs. Il n’y a ici qu’un peu d’écume européenne jetée au bord de ce désert dans lequel finissent étrangement toutes les rues...

Tout au bout de la ville, dans le quartier arabe, nous allons regarder des danseuses qui viennent de la Haute-Egypte. La fumée de tabac, qui se déchire en brouillards bleus, enveloppe dans une salle chaude et basse un curieux mélange de population : des Arabes, des nègres, des Européens, des Coptes. Une Abyssinienne, faite comme une Vénus hottentote, et dont le gros corps brun s’entrevoit sous la transparence de son pagne blanc, avance sur la pointe des pieds, avec un sourire nègre, suivant le rythme insaisissable de la musique. Tout d’un coup elle s’arrête, les jambes fixes, le tronc immobile. Alors une chose hideuse, indescriptible : lentement la croupe tressaille sous le pagne blanc, tremble, s’avance, se détache, s’agite en saccades, vibre d’un mouvement fou. Puis, avec des torsions lascives des hanches, coulée à terre, relevée à demi, les yeux fermés, elle ondule tout entière comme une bête rampante qu’on a blessée, qui va mourir...

Paraît en scène, sans qu’on l’ait vue entrer, une fillette arabe. Un sourire aigu et mystique sur ses lèvres hautaines, les yeux mi-clos, renversant la tête lentement, avec dédain, son jeune corps frêle raidi, cambré, voici qu’elle a déployé ses deux bras et tous ses doigts frémissent. — Cependant, sans bruit, avec une rapidité de mouvemens sinueux qui semblent d’un serpent qui court, une troisième file autour de la salle, décrivant des cercles compliqués. Étroitement drapée de velours rouge, les cheveux noirs collés sur le crâne plat, les lignes anguleuses et précises, le haut du corps très long, impassible, avec un sourire de sphinx, elle a la stature,