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d’acheteurs. Et, en effet, le commerçant européen, qui pouvait faire venir des marchandises de ces régions quand il les payait avec de l’argent à 42 pence, ne le peut plus quand ce métal lui coûte plus de 50 pence. Si à Washington la chambre des députés, bientôt renouvelée, en arrivait à voter la frappe libre de l’argent, comme l’a fait déjà le sénat, le prix de ce métal remonterait probablement, relativement à l’or, à l’ancien rapport de 1 à 16, c’est-à-dire à 59 pence à Londres, et les changemens qui en résulteraient dans la circulation universelle, dans les prix des marchandises et dans les relations commerciales du monde entier seraient si considérables qu’il est difficile d’en prévoir toute la portée. La nouvelle législation monétaire des États-Unis offre donc pour tous un intérêt si direct et si important qu’il est urgent de l’étudier attentivement et dans ses principes et dans ses effets ultérieurs. Pour bien comprendre les motifs qui l’ont dictée, il faut résumer rapidement l’histoire de la monnaie dans l’Union américaine.


I.

Avant la guerre de l’indépendance, la monnaie en circulation dans les colonies de la Nouvelle-Angleterre se composait principalement de dollars mexicains. Pendant la guerre, le numéraire devint si rare qu’on fut obligé de se servir de pesées de tabac comme instrument d’échange. À peine constitué, l’un des premiers soins du gouvernement fédéral fut d’adopter un système monétaire complet. Les hommes politiques du temps étaient favorables à l’emploi simultané des deux métaux comme monnaie principale. Hamilton, le premier secrétaire du trésor, dans son célèbre rapport au congrès sur cette matière (1791), recommande d’établir l’unité de valeur à la fois sur l’or et l’argent, et la raison qu’il en donne est remarquable : « Annuler, dit-il, l’emploi de l’un des deux métaux comme monnaie, c’est diminuer la quantité des intermédiaires de l’échange et s’exposer à toutes les objections qui ressortent d’une comparaison entre les bienfaits d’une circulation pleine et les maux d’une circulation insuffisante. » Le souvenir des souffrances résultant d’un manque d’instrumens d’échanges était encore présent dans tous les esprits et révélait les vrais principes à cet égard. Jefferson partageait la même manière de voir : — « Je vous retourne votre rapport sur la Mint écrit-il à Hamilton, et je pense comme vous que l’unité doit avoir pour base les deux métaux. Février 1792. »

La loi monétaire adoptée par le congrès, le 2 avril 1792, et intitulée : An act estahlishing a Mint and regulating the coins of the united-states, établit ce que l’on appelle maintenant le bimétallisme,