Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/338

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur le marché monétaire d’une crise semblable à celle de novembre dernier, déprimer le prix de l’argent à 30 pence, c’est-à-dire à la moitié de sa valeur précédente, et rendre ainsi la culture du blé impossible sous l’action de la concurrence de l’Inde, favorisée par une prime d’environ 50 pour 100. Il est vrai que l’agriculture américaine aurait été aussi atteinte, quoiqu’à un moindre degré, et c’est là précisément ce que les électeurs aux États-Unis n’ont pas voulu.

Si, pour les différentes raisons que nous venons d’indiquer, une entente internationale reste impossible, il est probable qu’après un temps plus ou moins long, il se formera dans le monde deux groupes de peuples : les uns, en Europe et en Australie, ayant pour monnaie principale l’or, et les autres, en Amérique, en Asie et en Afrique, l’argent. Sans doute, cela n’empêchera pas les échanges; ils se régleront moyennant perte ou avance sur le change, comme aujourd’hui quand on vend ou qu’on achète aux Indes. Mais il en résultera des inconvéniens sérieux, et surtout un antagonisme d’intérêts très fâcheux et même inquiétant. Tant qu’en France l’hôtel des monnaies, de 1803 à 1873, livrait à tout venant 3,100 francs pour 1 kilogramme d’or et 200 francs pour 1 kilogramme d’argent, ce rapport faisant loi dans le monde entier, un commerçant de n’importe quelle nation pouvait calculer exactement ce que lui rapportait une traite tirée sur un pays, soit à étalon d’or, soit à étalon d’argent. Elle valait autant de lois 200 francs qu’elle représentait de kilogrammes d’argent, ou autant de fois 3,100 francs qu’elle représentait de kilogrammes d’or dans le pays débiteur. Aujourd’hui, que vaut une traite de 1 kilogramme d’argent sur un pays qui a ce métal pour étalon? Nul ne peut le dire : 150 francs, 160 francs; peut-être, dans peu de temps, 190 ou 200 francs; cela dépend du cours du métal blanc à Londres, lequel, en ce moment, dépend des votes du congrès de Washington. A défaut du bimétallisme international, la même incertitude continuera à régner, et ainsi, dans toute transaction avec l’Amérique, l’Asie ou l’Afrique, il y aura un élément aléatoire, la valeur du paiement restant toujours variable.

Le côté grave de cette situation, c’est qu’elle rendra permanent, en l’accentuant encore, ce mouvement protectionniste qui sévit, hélas! partout. Je l’avais prédit de la façon la plus précise dans une lettre ouverte adressée à mes collègues du Cobden Club, en avril 1881, et il n’était pas difficile de le prévoir.

La production de l’or est manifestement insuffisante pour faire face aux besoins croissans de l’industrie et du monnayage. En voici le bilan annuel. Production : 500 millions de francs. Emplois : industrie, 300 millions de francs (90,000 kilogrammes net, d’après