Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que son prédécesseur. Tout au plus, à force d’instance, obtint-il la permission, une fois la convention signée, d’y apporter une adhésion tardive, qui ne permettait ni d’en discuter les clauses, ni d’en surveiller l’exécution. On ne pouvait montrer plus de mauvaise grâce, ni une résolution plus arrêtée, même quand les intérêts de France et de Prusse seraient pareils, de ne plus les unir dans une défense commune : et Puisieulx, malgré son désir de plaire, ne put s’empêcher à plusieurs reprises d’en témoigner, avec un mélange de dépit et de désespoir, son impatience. Il lui échappait de dire assez haut, même au ministre de Prusse à Paris : « Mais que veut donc le roi de Prusse? Prend-il plaisir à souffler le froid et le chaud pour attiser le feu de la guerre? Veut-il donc nous forcer de faire affaire avec la reine de Hongrie? Il ne manque pas de gens dans le conseil qui m’y poussent, et on peut m’en faire une nécessité[1]. »

Frédéric, qui connaissait son monde et ne savait que trop à qui il avait affaire, s’émut très peu de ces menaces. Le rapprochement de la France et de l’Autriche était bien et non sans cause, pour un avenir plus ou moins éloigné, un de ses sujets habituels de préoccupation ; mais Puisieulx lui avait donné sa mesure, et de sa part il ne craignait pas plus de coups de tête que de traits de génie. « Il m’est revenu, écrit-il (et de sa propre main à Valori), que M. le marquis de Puisieulx me soupçonne de souffler également le froid et le chaud à la France et à l’Angleterre... Si M. de Puisieulx appelle attiser le feu, que je déclare à toute l’Europe que je ne me mêlerai pas de cette guerre-ci, et que je garderai exactement la neutralité, je suis obligé de convenir qu’il a raison; mais il y a une grande différence à se déclarer neutre et à animer les parties les unes contre les autres, et je regarde M. de Puisieulx comme un ministre trop éclairé pour le soupçonner lui-même de confondre les objets si grossièrement... » « M. le marquis de Puisieulx, écrivit-il aussi à Chabrier, sur un ton d’ironie mal déguisée, reconnaîtra avec sa grande pénétration qu’il était impossible que je pusse souhaiter que la France s’épuisât par une longue guerre et que, naturellement, tous les maux qui pourraient arriver à la France rejailliraient en partie sur moi : mais que si je ne me déclarais pas ouvertement pour la France, c’étaient les circonstances

  1. Correspondance de Lamary, ministre en Suède, 1747, passim. — Chambrier à Frédéric, 20 août, 1er septembre 1747. — Puisieulx à Valori, 5 septembre 1747. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.) — Frédéric à Valori, 18 août 1747. — Pol. Corr., t. V, p. 465. — Flassan, Histoire de la diplomatie, t. V, p. 380.