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à produire un effet qui satisfasse les yeux. Les couleurs sont trop voyantes et mal harmonisées : il y a trop de dorures, trop de cariatides, trop de meubles à jamais disparates. Ces gens-là, évidemment, n’ont pas réussi à faire l’éducation de leurs yeux, et ils ornent leurs demeures à tâtons, sans rien voir de ce qu’ils y emploient.

Les vitrines des magasins sont d’une laideur navrante. Les objets s’y entassent les uns sur les autres, ou bien s’écartent démesurément les uns des autres. Aucun sens de l’harmonie des couleurs : tout est posé pêle-mêle, sans égard pour les yeux. Encore les marchands de confections, les propriétaires de bazars et les débitans de tabac sont-ils les seuls commerçans qui se donnent la peine d’organiser un étalage. Les boucheries et les boulangeries, qui mettent dans nos rues françaises un si vif élément de fraîches couleurs, sont ici de misérables échoppes sans devanture extérieure. Et partout, même dans les boutiques les plus somptueuses, on sent que le seul objet vraiment destiné à être vu est la plaque de carton annonçant le prix des denrées.

Les Allemands n’ont pas le goût naturel de la toilette. Ils ont beau affecter de mettre de l’art dans la négligence de leur tenue, la vérité est qu’ils trouvent plus commode de la négliger. D’ailleurs la tenue soignée telle qu’on l’entend en Allemagne, est plus fâcheuse encore pour notre goût français que le laisser-aller. Elle consiste à être sanglé dans une redingote, à se rembourrer au besoin les épaules, à prendre une apparence trapue et monumentale. Mais ce sont les toilettes des femmes surtout qui prouvent une incapacité foncière du sens de la vue. Les femmes allemandes non plus n’aiment guère à s’occuper de leur toilette. La plupart, — même dans la haute bourgeoisie, même dans la noblesse, — se bornent à acheter au bazar des robes toutes faites, qu’elles portent le long de la saison. Celles qui se piquent d’élégance imitent les modes parisiennes ; mais les modes parisiennes continuent à mettre le même temps pour venir en Allemagne que si l’on était encore au siècle des pataches et des messageries ; et dès qu’elles y sont venues, elles apparaissent tout autres qu’à Paris. L’abus des couleurs vives et contrastées, la profusion des ornemens ne manquent pas de les défigurer : et plus encore une répugnance manifeste devant la part de contrainte qu’impose toujours une mise élégante. Et les robes des Allemandes ne sont rien en comparaison de leurs chapeaux et de leurs bottines. Je ne crois pas qu’il y ait au monde un pays où l’on sache moins se coiffer et se chausser qu’en Allemagne.

Le toucher n’est pas plus affiné que la vue. La démarche est lourde, maladroite, embarrassée. Les bras restent ballans le long