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Cela se reconnaît dans la façon même de parler. « L’allemand, dit Mme de Staël, est une langue très brillante en poésie, très abondante en métaphysique, mais très positive en conversation. » Positive, sans doute, mais avec un mélange incessant de métaphores et d’abstractions. La conversation des Allemands manque de netteté sensible; les idées particulières y restent vagues, sans contours arrêtés ; mais à tout moment arrivent les idées générales, sous la forme de proverbes ou de comparaisons. Rien n’est curieux comme d’entendre en Allemagne des paysans illettrés citer, à propos de choses toutes vulgaires, les oiseaux, les fleurs, les étoiles.

Cent formules d’un usage quotidien attestent la même disposition sentimentale. A table, toute personne qui s’assied près de moi commence par me souhaiter gesegnete Mahlzeit, un repas béni de Dieu. Les nappes, les assiettes, les pots, portent des inscriptions en vers de mirliton exprimant des vœux de bienvenue et des souhaits de bonheur. Les murs sont couverts d’images attendrissantes: je n’ai vu que jeunes filles levant les yeux au ciel, enfans célébrant la fête de leur père, amies de pension s’embrassant après des congés.

Partout, de vieilles coutumes fidèlement conservées. Lorsque les maîtres d’une maison reviennent d’un voyage, les domestiques tapissent les chambres de branches et de fleurs, avec des inscriptions parmi les feuillages. Lorsqu’une jeune fille doit se marier, toutes ses amies viennent faire un point à sa robe de noce, pour qu’elle garde à jamais un souvenir de leur amitié. Lorsque deux jeunes gens sont fiancés, ils doivent, avant le mariage, faire un certain nombre de promenades de clair de lune (mondscheinspaziergang), etc.

Les jeunes filles que j’ai pu approcher m’ont toutes paru exactement pareilles l’une à l’autre. Elles avaient le cœur plein de poésie. Leur conversation s’ornait à tout moment de phrases d’une émotion délicieuse, où se mêlaient à dose égale l’imagination et les souvenirs des poètes. Je ne les sentais jamais passionnées ni ardentes au plaisir, mais je lisais dans leurs yeux une douce rêverie sans objet, un vague besoin de tendresse, quelque chose comme l’attente d’un beau chevalier qui viendrait à elles le long du fleuve, sur une nacelle d’or traînée par un cygne.

Le Lohengrin qu’elles attendent, c’est presque toujours un officier de la garnison, un élégant lieutenant serré dans sa tunique bleue. Elles l’ont aperçu un soir au concert ou au bal, peut-être ont-elles eu le bonheur de danser avec lui. Certain journal berlinois avait mis au concours la question de l’utilité de la guerre. « Oui, la guerre est utile, avait répondu une jeune fille; car sans la guerre, il n’y aurait pas d’officiers, et est-ce que l’on peut se