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ne suis point de la cour. Je suis encore moins courtisan, et je prie le ministre du roi de me regarder comme sortant d’un corps de garde. » Et dans une autre lettre au même : « Vous me trouverez peut-être bien ardent, mais puisque vous voulez bien être mon ami, songez que j’aime avec passion le métier de la guerre, que je me crois particulièrement ne pour ce jeu-là, que j’ai été gâté pendant deux ans par l’habitude d’avoir de grands commandemens et d’obtenir une grande confiance ! Songez que j’ai besoin de justifier les bontés dont ma patrie m’a comblé. Songez que je l’adore, cette patrie et que l’idée de voir l’Angleterre humiliée, écrasée, me fait tressaillir de joie. Songez que je suis particulièrement honoré de l’estime de mes concitoyens et de la haine de nos ennemis. Après tout cela, monsieur le comte (je ne vous le dirais pas comme ministre du roi), jugez si je dois être impatient de savoir si je suis destiné à arriver le premier sur cette côte et à planter le premier drapeau français au milieu de cette insolente nation. »

On sent déjà dans ces lignes courir cette flamme qui devait, douze ans après, échauffer dans leurs glorieux faits d’armes nos généraux de vingt-cinq ans, prodigues de leur sang et sauvant la patrie à force d’audace, de désintéressement et d’amour. La Fayette était de leur race. Aussi, s’indigne-t-il à la pensée d’une trêve : « Je ne crois pas à la nouvelle telle qu’on me la mande. Pour Dieu ! battons-les une bonne fois, ayons la force de vouloir être craints, et nous penserons alors à une paix qui deviendra honorable. » Enfin, dans une dernière lettre au même M. de Vergennes, lettre datée du Havre, son patriotisme fait explosion: « Me voici au Havre, monsieur le comte, en face du port et dominant surtout les vaisseaux qui nous conduiront en Angleterre. Jugez si je suis content de ma position et si mon cœur appelle les vents du sud qui nous amèneront l’amiral d’Orvilliers ! Je ne puis être tranquille que sur la côte anglaise, et nous n’y sommes pas encore. »

Deux mois se passèrent ainsi à regarder s’ils arrivaient, ces vaisseaux qui devaient porter nos soldats en Angleterre. On dut bientôt perdre toute confiance en cette entreprise. Le projet d’invasion tombait à l’eau ; celui d’envoyer des troupes en Amérique était accepté et subsistait seul. Notre amour-propre y était du reste engagé. L’escadre française avait été impuissante à enlever Savannah aux Anglais (septembre 1779). Les Américains avaient laissé passer, sans se soucier d’y mettre obstacle, les troupes qui venaient appuyer l’assiégé. L’amiral d’Estaing avait été obligé de reprendre la mer, sans tenter le sort d’un nouveau combat. Il nous en avait coûté 700 hommes, tués ou blessés grièvement.

C’était La Fayette qui avait ramené M. de Vergennes au plan de