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enfermé à Rhode-Island. Les deux beaux-frères s’écrivaient souvent ; mais c’est dans la correspondance avec Mme de Lafayette qu’il faut chercher le fond du cœur de son mari : « Tant que notre infériorité maritime durera, lui disait-il, vous pourrez être tranquille sur la santé de vos amis d’Amérique... Vous aurez su que, depuis mon arrivée, je trouvais l’armée du général Washington fort exiguë en nombre, et plus encore en ressources. Mais le désir de coopérer avec leurs alliés donna aux états un nouvel essor. L’armée du général Washington augmenta de plus de moitié et l’on y ajouta plus de 10,000 hommes de milice, qui seraient venus, si nous eussions agi offensivement. Il y eut des associations de marchands, des banques patriotiques pour faire subsister l’armée. Les dames firent et font encore des souscriptions pour donner quelques secours aux soldats. Dans le temps que cette idée fut proposée, je me fis votre ambassadeur auprès des dames de Philadelphie et vous êtes pour 100 guinées sur la liste... M. de Rochambeau et M. de Ternay, ainsi que tous les officiers français, se conduisent fort bien ici. Un petit excès de franchise m’a occasionné un léger débat avec ces généraux. Comme j’ai vu que je ne persuadais pas et qu’il est intéressant à la chose publique que nous soyons bons amis, j’ai dit à tort et à travers que je m’étais trompé, que j’avais commis une faute, et j’ai, en propres termes, demandé pardon, ce qui a eu un si merveilleux effet que nous sommes mieux que jamais à présent... Je vais fermer ma lettre, mais avant de la cacheter, je veux vous parler encore un petit moment de ma tendresse. Le général Washington a été bien sensible à ce que je lui ai dit pour vous. Il me charge de vous présenter ses plus tendres sentimens ; il en a beaucoup pour George. Il a été fort touché du nom que nous lui avons donné. Nous parlons souvent de vous et de la petite famille. — Adieu ! adieu ! »

Comme si ce n’était pas assez de l’épreuve de la trahison, les États-Unis voyaient le manque de paie et d’entretien produire des soulèvemens dans les troupes de Pensylvanie. Le congrès et les ministres engagèrent La Fayette à se rendre au milieu des révoltés avec le général Saint-Clair. Il fut reçu avec respect, et écouta les plaintes, qui n’étaient que trop fondées. L’affaire fut apaisée par la conciliation, mais une révolte semblable dans la brigade de New-Jersey fut comprimée avec plus de rigueur par Washington. La souffrance et les désappointemens de cette brave armée étaient faits pour lasser toute patience humaine.

La campagne s’était passée en reconnaissances, tout plan de diversion avait été écarté. L’année 1781 s’ouvrait sous les plus fâcheux auspices. Arnold était descendu avec les troupes anglaises en Virginie, et il y commettait les plus honteux excès. Malgré tous