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de munitions et d’habillemens dont son collègue, le général Greene, avait un besoin urgent; ce fut durant cette reconnaissance que Philipps mourut. Chose étrange, ce général Philipps commandait à la bataille de Minden la batterie dont un boulet avait tué le père de La Fayette.

Après la mort du chef des troupes anglaises, il était arrivé, en négociateur, un officier porteur d’un passeport et de lettres du général Arnold. La Fayette refusa toute communication avec un traître. Ce refus fit grand plaisir à Washington et à l’opinion publique et plaça Arnold dans une situation difficile vis-à-vis de ses propres troupes. Mais l’apparition inattendue de lord Cornwallis, qui venait le 20 mai d’opérer sa jonction avec Arnold, rétablit les affaires des Anglais dans la Virginie. Pour activer la marche, il s’était débarrassé de tous ses équipages pour ses soldats et pour lui-même. La Fayette se mit au même régime, et pendant toute cette campagne, les deux armées couchèrent au bivouac, ne portant avec elles que le strict nécessaire.

Le commandant de l’infanterie légère américaine avait pour mission de harceler les Anglais et de prolonger la défense le plus longtemps possible. Il s’acquitta habilement de sa tâche. Washington lui envoyait, comme renfort, les Pensylvaniens avec le général Wayne. Cornwallis, en se mettant aux trousses de La Fayette, avait écrit une lettre qui fut interceptée et où il se servait de cette expression : The boy can not escape me: l’enfant ne peut ni échapper.

L’enfant lui échappa et le suivit pas à pas, sans compromettre dans une seule affaire l’infériorité de ses forces et trompant son formidable adversaire, comme il l’appelait, sur le nombre de ses troupes.

Il n’avait guère le loisir, durant cette audacieuse et active campagne, d’écrire à Mme de La Fayette. Depuis sa lettre du 2 février 1781, où il lui recommandait le colonel Laurens, envoyé en mission à la cour de France, et où il disait gentiment : « Pour être vagabond, je ne suis pas moins tendre, » il n’avait pu lui adresser d’autres missives; mais le 24 août, au camp devant Yorktown, il dépêche à sa chère femme un courrier : «Le séjour de Virginie, dit-il, n’est rien moins que favorable à ma correspondance ; ce n’est pas aux affaires que je m’en prends, et trouvant tant de temps pour m’occuper de ma tendresse, j’en trouverais bien aussi pour vous en assurer. Mais il n’y a point d’occasion ici, nous sommes forcés d’envoyer les lettres au hasard à Philadelphie; ces risques-là, réunis à ceux de la mer, et le redoublement de retards doivent nécessairement rendre plus difficile l’arrivée des lettres; si vous en recevez plus de l’armée française que de celle de Virginie, il serait injuste d’imaginer que je suis coupable.