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La Fayette, toujours prêt à l’action, acheta une habitation à Cayenne, la Belle-Gabrielle afin d’y donner l’exemple d’un affranchissement graduel. Il chargea sa femme du détail de cette entreprise. Un autre sentiment venait se joindre aux aspirations libérales chez la fille de la duchesse d’Ayen. Elle était profondément chrétienne, et le désir d’enseigner aux nègres de la Guyane les premiers principes de religion et de morale s’unissait au dessein qu’elle partageait avec son mari de les amènera la liberté. Elle se lia avec des prêtres du séminaire du Saint-Esprit, qui avaient une maison à Cayenne. Les événemens révolutionnaires ne devaient pas lui permettre de voir réaliser ses vœux ; mais, au moins, elle eut la consolation d’apprendre que les nègres n’avaient pas commis, à la plantation de la Belle-Gabrielle, les horreurs qui eurent lieu ailleurs.

Avant de rentrer à Paris, La Fayette s’était arrêté à Madrid. La lenteur espagnole et surtout la méfiance de la cour contre l’émancipation des colonies américaines avaient laissé les négociations aussi peu avancées que le premier jour où M. Jay était venu en Espagne comme envoyé des États-Unis. La Fayette vit Charles III et son ministre, le comte de Florida-Blanca. Il obtint la reconnaissance de M. Carmichaël comme chargé d’affaires du gouvernement américain et le fit recevoir officiellement à la cour. Enfin, il parvint à arrêter les bases de l’arrangement qui intervint définitivement quelques mois après. Après avoir prévenu de ce résultat M. Livingstone, le secrétaire des relations extérieures, il rentra à Paris[1].

Il n’avait pas encore conduit Mme de La Fayette à Chavaniac, en Auvergne, où il était né, où résidait sa dernière tante. Mme de Chavaniac, la seule parente qui se rattachât à la famille paternelle, depuis que Mlle de Motier était morte. Ce voyage, retardé pendant quelques jours par le mariage de Rosalie, la dernière fille de la duchesse d’Ayen, avec le marquis de Grammont, s’effectua vers la fin de mars. Tandis que Mme de La Fayette gagnait le cœur de Mme de Chavaniac et lui inspirait un sentiment maternel qui ne s’éteignit qu’avec la vie, M. de La Fayette s’occupait d’obtenir, pour les marchandises américaines, que Lorient, dunkerque et Bayonne fussent déclarés ports francs.

Il avait eu la satisfaction d’apprendre par Washington, le 5 avril, que sa lettre, datée de Cadix et apportée à Philadelphie par le vaisseau le Triomphe, était le seul avis que le congrès eût encore reçu de la paix générale. Aussi les sentimens de reconnaissance

  1. Voir Correspondance de La Fayette t. II, 19 février et 2 mars 1783, 20 et 22 juillet, même année.