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nouveaux protectionnistes de la commission des douanes poursuivent leur œuvre au pas de charge, sans regarder autour d’eux, comme s’ils n’avaient à compter avec rien, ni avec personne. Ils n’ont pas eu de repos qu’ils n’aient obtenu la dénonciation des traités de commerce. Ils se sont fait l’illusion que, sauf les tarifs dont ils prétendaient redevenir les maîtres absolus, les autres garanties, les autres avantages consacrés par les conventions commerciales resteraient entiers. Malheureusement ils n’ont pas vu qu’ils allaient au-devant de singuliers mécomptes. On a dénoncé les traités de tarifs qui nous liaient à d’autres pays : ces pays, à leur tour, se délient des engagemens de toute sorte qu’ils avaient avec nous. Les nations les plus voisines, celles avec qui nous avons les rapports les plus familiers, la Suisse, la Belgique, ont répondu en dénonçant toutes leurs conventions : de sorte qu’avant un an il peut ne rester plus rien des accords qui existaient sur le libre passage des marchandises françaises en Belgique, sur les patentes des voyageurs de commerce, sur la propriété artistique et littéraire. Nous pouvons être exposés à voir refleurir à nos portes une industrie louche et équivoque dont la suppression a coûté des années d’efforts et de négociations, — la contrefaçon, qui serait assurément un coup redoutable pour une des plus grandes industries françaises. Il y a, il est vrai, ce qu’on appelle l’union internationale de Berne, une sorte d’association formée pour la garantie collective de la propriété artistique et littéraire. La Belgique et la Suisse font partie de cette association avec l’Allemagne, la France, l’Angleterre, l’Italie, l’Espagne ; mais on peut se délier de l’union de Berne comme de tout le reste, — et les Belges ne cachent pas, ils le déclaraient hier encore, qu’ils sont résolus à se servir de toutes leurs armes pour se défendre contre le protectionnisme français qui les menace. En d’autres termes, c’est la guerre des tarifs en perspective, une guerre d’intérêts qui ne peut avoir d’autre résultat que de réduire la France à un dangereux isolement commercial. Est-ce que maintenant la chambre, le parlement tout entier va suivre la commission des douanes jusqu’au bout dans cette voie de réaction économique qui nous ramène à un demi-siècle en arrière ? Est-ce que le rôle du gouvernement n’est pas de prendre résolument position, d’engager s’il le faut sa responsabilité pour arrêter ce torrent, pour sauvegarder les intérêts de la France menacés par une politique visiblement excessive ?

Le malheur est que la majorité de cette chambre ne sait pas trop ce qu’elle veut et que le gouvernement lui-même ne sait pas ou ne peut pas se décider à avoir une volonté, à prendre un parti, de peur de se compromettre. La protection est le mot magique qui fascine ces esprits troublés et aveuglés. On veut tout protéger sous la forme des tarifs ou sous toutes les formes de l’intervention de l’État, et un des plus singuliers spécimens de cet entraînement est certes cette affaire