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« Et il alla dans le désert un jour de marche, s’assit sous un genévrier et implora la mort, disant : C’en est trop, Jéhovah ; prends ma vie, car je ne vaux pas mieux que mes pères…

« Et la voix de Jéhovah vint sur lui, et dit : Que fais-tu ici, Élie ?

« Et il répondit : J’ai été jaloux de jalousie pour Jéhovah, dieu des armées ; car les enfans d’Israël ont abandonné ton alliance, détruit tes autels, égorgé tes prophètes avec le glaive, et je suis resté seul, et ils me cherchent pour me faire mourir.

« Et Jéhovah dit : Sors et tiens-toi debout sur la montagne, devant Jéhovah. Et voici que passait Jéhovah, et un vent, grand et violent, déchira la montagne et brisa les rochers devant Jéhovah ; mais Jéhovah n’était pas dans le vent. Et derrière le vent vint un tremblement de terre ; mais Jéhovah n’était pas dans le tremblement de terre. Et derrière le tremblement de terre venait une flamme ; mais Jéhovah n’était pas dans la flamme.

« Et derrière la flamme venait une voix douce et tendre. »

C’est cette voix douce et tendre qui va mêler désormais sa note aux tonnerres de Jéhovah et donner au prophétisme cet accent unique de colère et de tendresse qui allait finir par briser et par fondre le cœur de pierre de la vieille humanité.


II

En effet, dans le siècle qui suit Élie, paraît au jour une chose nouvelle dans le monde : un dieu devenu instrument de morale.

Nous ne pouvons pas suivre jusqu’à ses origines le mouvement de purification et d’idéalisation qui, après avoir mis Jéhovah hors de pair et au-dessus de tous les dieux, vida le ciel tout entier à son profit, et attacha à son nom et à son culte tout le trésor de la conscience. Ce travail est achevé dès les premiers prophètes dont nous avons la parole, Amos et Osée. Rien d’essentiel n’a été inventé depuis : eux-mêmes, sans doute, n’ont rien inventé et ne doivent leur titre de priorité qu’au hasard, qui a fait périr l’œuvre de leurs prédécesseurs, dont la Bible a consacré les noms et dont l’auteur du Livre des rois et celui des Chroniques avaient encore les œuvres, Nathan, Cad, Iddo, et autres. Il est probable que déjà, dans la guerre qu’Élie dirigeait contre Baal, au nom de Jéhovah, la question politique et théologique n’était pas tout, et que la puissante poussée morale du jéhovisme prophétique était déjà commencée. Élie n’est point seulement l’ennemi de Baal et des idoles ; c’est le justicier envoyé pour dénoncer au meurtrier de Naboth les colères de Jéhovah, et pour venger le pauvre, égorgé et dépouillé. La première parabole évangélique a été dite, dix siècles avant le Christ,