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par le prophète Nathan, flétrissant par-devant David, au nom de Jéhovah, le meurtre et l’adultère royal.

À l’époque où s’ouvre la littérature prophétique, voici l’horizon politique et moral qui s’étendait devant l’œil des rêveurs d’Israë et de Juda. Une foule de petits états, Moab, Édom, Philistie, Tyr, Israël, Juda, qui s’entre-déchiraient avec l’acharnement des petits ; la guerre et le pillage à l’ordre du jour, des razzias perpétuelles alimentant de captifs le commerce esclavagiste de Tyr et des îles grecques ; plus loin, un état puissant, Damas, et plus loin encore la formidable Assyrie, avec leurs vastes armées, leurs guerres d’extermination, leurs effrayans systèmes de déportation et de transportation en masse, jetant déjà une ombre de mort au-dessus de ce chaos de peuplades anarchiques. Des dieux aussi méchans et aussi bornés que les hommes : la religion devenue une école de prostitution dans le temple d’Astarté, de férocité sur les autels de Moloch ; le culte oscillant entre des pratiques niaises et des pratiques atroces ; la divination, la sorcellerie, l’imposture, étroitement liées à tous les cultes. Et quand le prophète de Jéhovah ramenait les yeux sur son peuple même, l’anarchie politique et morale : Israël divisé contre lui-même et ne se retrouvant que contre Juda ; les révolutions militaires élevant et renversant les rois dans le sang, et toutes les horreurs du régime prétorien dans un royaume de quelques lieues carrées. Dans les heures intermittentes de paix, la force aussi absolue maîtresse que dans la guerre, l’oppression du pauvre par le riche, et pis que tout, la justice vendue aux puissans. Dans les temples, toutes les nouveautés des peuples étrangers ; dans Jéhovah même nul secours ; son culte réduit à une pure idolâtrie, un rituel de sacrifices et de jeûnes, sans vertu morale : nulle part une voix qui parle avec autorité. C’est alors qu’éclata la puissance morale enfermée dans l’exclusivisme de Jéhovah.

La cruauté, la sottise, l’iniquité de ces temps n’étaient, certes, point pires que celles des siècles qui avaient précédé en Israël et dans le reste du monde sémitique, ni pires non plus que celles qui régnèrent plus tard en Grèce et à Rome dans les plus beaux siècles de la littérature et de l’art. Le génie du prophétisme fut de s’étonner de la férocité humaine comme d’une chose contre nature et contre raison. Devant les iniquités du monde, le cœur des prophètes crut saigner de la blessure d’un Dieu, et leur cri d’indignation rendit l’écho d’une colère divine. Il y a eu en Grèce et à Rome des riches et des pauvres comme sous le roi Jéroboam, et les classes s’y sont entr’égorgées durant des siècles, sans que du tumulte de la lutte jaillisse un cri de justice et de pitié. Les peuples sont nés et ont péri, vivant au jour le jour, à la merci des accidens et des