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simplement à la ville de Rouen la coupure de ses deux ponts. La circulation quotidienne y est, moyennement, de près de 5,000 colliers et de 29,500 piétons. A certains jours, il y passe 7,500 voitures dans un espace de douze à quinze heures. On voit quel trouble profond jetteraient dans la vie de cette cité industrielle et commerçante des interceptions multipliées de sa principale circulation, interceptions qui seraient absolues, car les deux ponts, n’étant séparés que par une distance de 260 mètres, seraient forcément ouverts tous deux en même temps. La configuration du terrain ne se prête pas, d’ailleurs, à l’établissement de ponts surélevés. Reste la solution d’une déviation du canal qui consisterait à lui faire contourner à distance convenable le faubourg de Saint-Sever. Mais outre qu’elle recouperait encore des voies de communication d’une certaine importance, elle est fort onéreuse. Aussi les auteurs du projet la repoussent-ils avec vivacité. Ils s’étonnent de l’émotion des Rouennais, qui devraient, au contraire, assurent-ils, être heureux de voir tant de millions de tonnes passer devant leurs yeux. Il est permis de penser que, s’ils avaient le choix, les Rouennais aimeraient encore mieux les voir s’arrêter sur les quais. Il n’importe : le projet s’en tient à la coupure des ponts de Rouen : elle est nécessaire au canal, cela lui suffit ; c’est au nom de l’intérêt maritime qu’il la réclame, en vertu d’un principe dont il semble être l’inventeur et qui consiste, suivant ses propres expressions, « dans la subordination de la terre à la mer. » Cela pourrait mener à de singulières conséquences.


Jusqu’à présent, toutes les objections soulevées par le projet semblent pouvoir se résoudre plus ou moins heureusement à coups d’argent. En sera-t-il de même de celles que je voudrais encore signaler à l’attention du lecteur avant d’abandonner le point de vue technique ?

Le creusement du canal comporte, d’après le projet, l’enlèvement de 41 millions de mètres cubes de déblais à peu près. C’est un peu plus qu’au canal de Manchester, où le cube n’est que de 35 millions de mètres cubes. C’est quatre fois plus qu’au canal de Corinthe. Cette grande quantité de terre, où la logera-t-on ? Le projet prévoit d’abord le comblement des bras non navigables de la Seine, ce qui, en réduisant le débouché disponible, pourrait, dans les grandes crues, agrandir sur les terres en amont le périmètre de la zone d’inondation. Ensuite, c’est sur ces îles, aujourd’hui si verdoyantes, un des charmes de cette magnifique vallée, qu’on amoncellera en épais remblai la craie et le gravier qui les stériliseront à tout jamais ; enfin, comme on ne se sera ainsi débarrassé que de la moindre partie des déblais, avec l’excédent, on