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se forma, M. Windthorst en fut le chef. Ce parti, que M. de Bismarck traita d’abord de très haut et qui lui préparait de grands embarras, était destiné à grossir d’élection en élection, à se fortifier sans cesse, à étonner le gouvernement par son incorruptible discipline, à devenir un des principaux rouages de la politique prussienne. Un jour, M. de Bismarck devra entrer en arrangement, capituler. Selon l’expression de M. Thiers, il avait pris des guêpes pour des abeilles. Il en sera réduit à désavouer sa conduite, à renier son passé, à prétendre que les lois de mai n’étaient point son œuvre, que ses collègues dans le cabinet prussien lui avaient forcé la main. Grand triomphe pour l’Église de voir l’homme d’état que Pie IX avait traité d’Attila solliciter l’assistance de Léon XIII, le prier instamment d’intervenir dans ses affaires ! Mais l’Eglise serait bien ingrate si elle oubliait que ce succès mémorable fut obtenu par l’industrieuse habileté, la stratégie savante, l’obstinée persévérance d’un laïque qui, en 1869, avait protesté contre le dogme de l’infaillibilité.

M. de Bismarck, dans sa politique intérieure comme dans ses entreprises contre ses voisins, a passé sa vie à attaquer en se donnant l’air de se défendre ; il a toujours prouvé à ses ennemis du dedans et du dehors que c’étaient eux qui avaient commencé. Quand il vit se former le parti du centre, il affecta de ressentir un grand étonnement et une violente indignation. Il le qualifiait tantôt « d’internationale noire, » tantôt « d’armée mobilisée contre l’État. » Il déclarait que la création d’un parti confessionnel était une lourde faute et un danger pour la paix publique ; il voulait dire apparemment que c’était une entreprise fort désagréable pour lui. Que signifiait cette levée de boucliers ? A qui en avait-on ? Cet homme si scrupuleux dans l’emploi des moyens accusait les députés catholiques de recourir à des artifices odieux pour le discréditer auprès de leurs électeurs, de se servir de la chaire et du confessionnal pour abuser et séduire les petites gens, den gemeinen Mann. Cet homme pacifique leur reprochait leur humeur guerroyante. Cet homme débonnaire se récriait sur la véhémence acariâtre qu’ils apportaient dans les discussions.

A plusieurs reprises, il essaya de les mettre en défiance contre M. Windthorst, sachant bien que, privé de son chef, le parti ne tarderait pas à se désunir, à se disloquer. Il le représentait comme un homme qui exploitait leur innocence pour arriver à ses fins particulières. « Votre chef, leur disait-il dans la séance du 30 janvier 1872, est devenu Prussien malgré lui, à son corps défendant ; rien ne me prouve qu’il ait surmonté jusqu’ici les répugnances que nous lui inspirons, qu’il se soit réconcilié avec la création du nouvel empire allemand. » Et il insinuait qu’en 1870 M. Windthorst avait sûrement fait des vœux pour le succès des armes françaises. Le 9 février, revenant